La bande-annonce d’Obvious Child le proclame fièrement : attention, voici « la comédie romantique subversive que l’on attendait ». Vraiment ? Si l’on se fie à cet argument de vente imparable, nous devrions donc être enfin sauvés des bluettes ringardes qu’Hollywood produit à la pelle depuis le triomphe en 1989 de Quand Harry rencontre Sally, et que très peu ont réussi à égaler. Et en effet, dès ses premières minutes, Obvious Child donne le ton : plus question de rêver au prince charmant, l’héroïne romantique de 2014 préfère parler de ses culottes sales.
C’est que, depuis 1989, les temps ont changé : les comédies réalisées ou produites par Judd Apatow sont la nouvelle norme, l’humour le plus trash a balayé les minauderies du passé et les héroïnes sont des femmes libres, indépendantes mais néanmoins pétries de doutes et d’incertitudes sur leur avenir professionnel et affectif, face à des hommes eux-mêmes dépassés. On ne peut évidemment que se réjouir que les love stories d’aujourd’hui prennent à bras le corps les turpitudes du quotidien, tout en prenant soin de respecter les codes du genre : à ce titre, Obvious Child ménage la chèvre et le chou et garde, sous ses aspects les plus hardcore, un petit cœur d’artichaut. À rebours de films comme Juno ou En cloque (mode d’emploi), dans lesquels les personnages féminins tombaient enceintes par accident et décidaient de garder l’enfant (moins par envie que par conservatisme passif), Obvious Child nous montre une femme déterminée face à sa grossesse indésirée : elle avortera, un point, c’est tout.
Stand up, sit down
Cette héroïne, c’est Donna, alias Jenny Slate, nouvelle égérie de la scène comique des États-Unis, figure du stand-up (dans la vie comme dans le film) et du Saturday Night Live. Elle est à la fois le principal atout du film, et son talon d’Achille. C’est curieusement lorsqu’elle sort de son élément naturel (la scène, les blagues graveleuses) qu’elle est la plus crédible, et la plus drôle. Lorsqu’elle fait le pied de grue devant l’appartement de son ex, Donna/Jenny utilise une situation banale et grotesque et émeut autant qu’elle amuse avec un minimum d’effets, un sens impeccable du comique de situation et une aisance naturelle qui rend la scène tout aussi réaliste que désespérément hilarante. Dans d’autres scènes, moins volontairement comiques, sa dégaine mal assurée contraste avec une attitude déterminée, et l’émotion affleure.
Ces petits instants de grâce sont d’autant plus précieux que la plupart du temps, Jenny Slate et son alter ego agacent. Brooklyn, la dèche, les bonnets en laine et les dialogues plein de fuck et de commentaires existentiels sur le caca et les pertes vaginales : la très surestimée série Girls (produite par Judd Apatow, justement) a fait des émules et autant de dégâts, pour devenir désormais tout aussi caricaturale que les bluettes WASP dont elle se targuait de prendre le contre-pied. On a déjà vu ça cent fois, souvent en mieux (difficile de ne pas penser à Louis CK), d’autant que l’ensemble est souvent plombé par le ricanement incessant de Slate/Donna, qui passe son temps à rire de ses propres blagues. Il y a pourtant là une volonté évidente de rire de tout, d’un humour souvent désespéré, à fleur de peau, et une envie très forte de raconter une histoire toute bête de princesse et de prince charmant, où l’homme idéal serait celui qui serait capable d’assurer quand l’héroïne choisit de ne pas garder l’enfant qu’ils ont conçu ensemble. La très jolie scène de fin fait regretter que Gillian Robespierre n’ait pas mieux su brider son égérie : Obvious Child aurait alors peut-être été une comédie à la hauteur de leurs ambitions.