25 novembre 1970, le jour où Mishima choisit son destin fait partie des deux derniers films qu’il nous reste à voir de cet immense cinéaste que fut Kôji Wakamatsu, suite à son décès accidentel en 2012. Engagé à l’extrême-gauche, Wakamatsu s’intéresse pourtant ici à une figure du Japon qui semble être l’antithèse de ce pourquoi il a milité. Mais à l’instar de United Red Army, sorti en 2005, le regard porté par le cinéaste dans ses derniers films sur cette période agitée que furent les années 1960 – 70 se révèle être d’une intelligence critique rare.
Après United Red Army et Le Soldat Dieu, Wakamatsu continue de s’attacher à l’histoire plus ou moins récente de son pays. Cinéaste sulfureux ayant œuvré à partir de la fin des années 1960, dont les films militants et érotiques firent les beaux jours des cinémas Pinku Eiga, l’évolution de Wakamatsu vers des sujets historiques ne constitue nullement un revirement, mais plutôt une façon de se servir du recul des années pour interroger cette période agitée dans laquelle il fut, notamment de par ses films, partie prenante. Et si son style a évolué, il serait injuste dire qu’il a tout simplement adopté au fil du temps une forme de classicisme. Wakamatsu a conscience que la complexité des situations et des enjeux qu’il souhaite exposer appelle une mise en scène discrète, épurée en terme de découpage et de lumière. On sent que son savoir-faire de cinéaste est ici au service du récit, de la parole et des actes des personnages, qu’il se doit de trouver une forme d’équilibre et de retrait afin de rendre compte avec clarté et limpidité de son histoire. Et lorsqu’il s’agit d’illustrer le chaos et les affrontements fréquents qui eurent lieu à cette époque entre les forces de l’ordre et les différents mouvements étudiants, Wakamatsu ne procède pas à une reconstitution avec pléthore de figurants, mais préfère utiliser des images d’archives. En agissant ainsi, il préserve le rythme et l’épure de sa mise en scène, et contextualise tout en rappelant qu’il vise avant tout à focaliser son attention sur la parole et la trajectoire de Mishima et de ses disciples.
Car si le cinéaste confie aux images d’archives le soin de rendre compte de cette période d’extrême agitation, c’est que le sujet qui l’intéresse, bien que lié aux remises en question de cette époque, reste malgré tout en marge. Les agitations anti-américaines et anticapitalistes, la radicalisation et la prolifération des mouvements étudiants d’extrême-gauche, créent à partir du début des années 1960 un climat de tension et d’insurrection au milieu duquel l’écrivain peine à faire entendre sa voix. L’action singulière de Mishima apparaît dans ce film comme dérisoire, absurde, révélant son incapacité à créer un mouvement dont l’ampleur serait susceptible un tant soit peu de déstabiliser le pouvoir en place. Les moments les plus bouleversants du film sont ceux durant lesquels l’écrivain prend la parole face à des groupes incapables d’entendre ce qu’il a à dire, que cela soit des étudiants nourris de dialectique matérialiste et déconstructiviste, ou des militaires qui le moquent et le conspuent. Le hara-kiri final, ce 25 novembre où Mishima choisit son destin, apparaît alors comme le geste d’un homme conscient de son impuissance, de sa solitude, et à qui ne reste plus que la liberté de soigner sa sortie plutôt que de se résigner.
Au vu de son œuvre et de son engagement politique, on peut se demander pourquoi Wakamatsu consacre un tel film à une figure se réclamant d’un Japon traditionaliste et impérial. Si l’amour de Mishima pour la patrie, la terre, la langue écrite et l’Empereur peut sembler ambigu en raison des liens existants entre cette pensée et le passé nationaliste du Japon, jamais dans le film lui et sa clique n’apparaissent comme des brutes avides de sang, mais au contraire comme des jeunes hommes perdus et sensibles à la portée mythique et poétique d’une telle idéologie, à la façon dont celle-ci structure et transcende l’individu. Ce que Wakamatsu nous montre, c’est qu’il y a chez Mishima et ses disciples une grande forme de pureté, une innocence enfantine, et finalement le refus d’abandonner ces croyances afin de rentrer dans le rang et de devenir des petits bourgeois sinistres, des pions dans le système capitaliste et consumériste qui s’est emparé du Japon après la capitulation. Et c’est sûrement en cela que le cinéaste éprouve une forme de tendresse pour eux, les rejoignant dans l’idée que l’ordre marchand avilit l’individu, et que toute révolte face à cette médiocrité est finalement légitime. Dans une telle époque, Mishima et ses disciples sont tout simplement des déclassés, des marginaux, c’est-à-dire des individus à même de trouver leur place dans un film de Kôji Wakamatsu.