La représentation au cinéma ne suffit plus, il lui faut absolument un ersatz de vérité: c’est ce que l’on appelle aujourd’hui le docu-fiction. On ne voit pas vraiment en quoi ce « genre » pourrait s’apparenter au documentaire, mais on voit encore moins comment le dernier-né japonais du genre pourrait être reconnu en tant que film. Entre une mise en scène absente et une certaine hystérie du témoignage, on se demanderait presque ce que le Mai 68 japonais a fait pour mériter cela.
Kôji Wakamatsu, ancien collaborateur et producteur d’Ôshima, est un enfant rebelle du cinéma japonais: ancien yakuza ayant passé quelques années derrière les barreaux, il s’intéressa aussi bien au pop art qu’au mouvement punk, au sexe filmé qu’à l’histoire de son pays. Il revient aujourd’hui avec un film-témoignage sur des années 1960 bouleversées au Japon, comme en Europe ou en Amérique, par les révoltes étudiantes. Mais voilà, on le comprend grâce à une voix-off pédagogue, le Japon est proche de la Chine, donc de la Révolution culturelle, et d’autant plus ouverte à la crise politique qu’il a été occupé après la défaite. Après quelques rappels historiques qui ne sont pas sans évoquer, visuellement, les plus grands moments des Mercredis de l’Histoire, nous voici plongés dans la reconstitution d’un moment particulier de la révolte: la fameuse affaire Asama. Pris dans la tourmente des événements, un groupe d’étudiants extrémistes s’engagent dans la fraction Armée Rouge japonaise sous l’impulsion de leaders fanatiques qui mèneront aux beaux jours du terrorisme japonais dans les années 1970 et 1980. L’Armée Rouge Unifiée se rend dans un camp d’entraînement, levant alors pour la plupart de ses participants l’horreur de la micro-dictature et de la « pureté » politique. Il est assez clair que les programmes d’histoire ne passent que rarement sur ce chapitre, et que ces crises sont méconnues du public européen. Serait-ce le temps pour ce dernier de faire amende honorable? Eh bien non. Nous ne crierons pas au génie.
Un certain nombre de cinéastes semblent penser aujourd’hui que la narration classique n’est plus aujourd’hui socle de créativité. Quand on ne sait plus inventer, on prend un gramme de réalité, un gramme de fiction, et l’on réalise un film mi-figue mi-raisin permettant de sceller le réalisme de la fiction dans l’utilisation factice d’images d’archives. United Red Army commence ainsi comme un documentaire historique, en montage d’archives montrés chronologiquement. Mais le cours d’histoire télévisé et maladroit s’arrête là pour laisser place à un mélange curieux de description linéaire d’événements -donc de reconstitution moins crapuleuse qu’un épisode d’Hollywood stories, mais tout aussi faussement dramatisée- et de vide réflexif pur. Kôji Wakamatsu semble conserver tout au long de ses (longues, longues) trois heures de film une forme de naïveté qui empêche absolument tout regard contemporain sur l’affaire Asama: ainsi les réunions de l’Armée Rouge Unifiée sont-elles filmées très rapidement, sans aucun détail des débats éventuels, sans aucune piste de la réflexion politique des fanatiques bucoliques. La répétition éternelle des mêmes scènes (d’auto-critiques notamment, on a largement le temps de les comprendre) et du plan fixe montre également la volonté de ne surtout pas construire de réelle fiction, de réelle narration cinématographique. Comme si filmer le vide suffisait à faire du plein. On apprendra donc que les révolutionnaires « refusent le système bourgeois » (sans rire?) et que, nous citons, « la révolution, ça fait du bruit ». Plus que ce genre de films en tous les cas.