Kôji Wakamatsu, réalisateur de Quand l’embryon part braconner, est un réalisateur redoutablement stakhanoviste, avec une centaine de films à son actif, mais reste un quasi-inconnu en France. Sa longue carrière s’articule autour de son engagement politique à l’extrême-gauche, mais aussi et surtout pour sa production de films érotiques pink eiga, genre dont Quand l’embryon part braconner demeure un film emblématique.
Le pink eiga (« cinéma rose ») est le genre cinématographique né au Japon, à l’époque des J.O. de Tokyo (1964), en réaction à l’interdiction par l’état des cabarets et des films pornographiques. Subversion des strictes règles de morales qui présidaient au cinéma nippon, le pink eiga contourne les interdits avec une volonté d’en montrer le plus possible sans risquer les foudres de la censure. Comme dans le genre fantastique, cette obligation accouche d’un regard sur la mise en scène profondément réfléchi et, conséquemment, des plus pertinents. Mais le pink eiga diffère du fantastique en cela qu’il est profondément, et exclusivement japonais – et ne partage donc pas les contraintes morales qui nous sont familières. Dans Quand l’embryon part braconner, film emblématique du genre, l’approche de leur sexualité par les protagonistes est sereine : lui et elle – nous ne saurons jamais leurs noms – se retrouvent un soir, après le travail, pour passer la nuit ensemble dans son appartement. Entre les deux protagonistes, le désir est manifeste, et son abandon à elle des plus enthousiastes. Lui, cependant, perd rapidement toute légèreté dans l’acte, obsédé qu’il est par les ressemblances entre son amante et son ex-femme. Il sombre rapidement dans un délire de domination violente.
Créé à l’arrachée par le scénariste Masao Adachi sur le canevas proposé par le réalisateur (un film tourné dans son seul appartement), le scénario de Quand l’embryon part braconner est terriblement simple. Le réalisateur a par contre prêté une attention manifeste au cadre, physique comme cinématographique. Afin d’illustrer le minimalisme d’une relation basée sur un désir d’un soir, Wakamatsu ose des cadrages d’une pertinence remarquable. Ainsi, nombre de scènes sont filmées depuis le couloir enténébré de l’appartement, ne laissant comme seule image dans le cadre que la vision des deux protagonistes, au loin, par l’ouverture éclairée. Une autre fois, le réalisateur filmera la main baladeuse de l’homme sur les bas de la femme en plan serré, dans un cadre où la majeure partie de l’image est occupée par le mur sur lequel ils s’appuient tous deux. Le langage cinématographique est ici transparent : nous ne sommes ici que pour montrer la sensualité, au point donc d’en faire la seule image présente à l’écran, au détriment de tout autre élément de décor.
L’appartement, lieu unique, s’impose dès le départ comme le symbole de l’esprit (de l’âme?) de l’homme. Il a pris le parti de le vider de toutes formes de meubles, lit excepté, et de n’orner les murs que d’un seul cadre, représentant évidemment un corps nu. La psyché du mâle est donc ici réduite à sa plus simple, sa plus sensuelle, expression. La progression du personnage masculin est elle aussi profondément mâtinée de psychologie freudienne. Ses imprécations à l’adresse de sa partenaire suivent la progression : tu es une traînée, donc toutes les femmes le sont, donc ma femme (dont la très grande faute était de vouloir un enfant) l’était… pour finir par revenir, évidemment, sur l’idée de la femme idéale, la mère. C’est finalement avec un humour subtil que le réalisateur et le scénariste dépeignent ce personnage d’homme métonymique, symbole d’une virilité désemparée face à l’émancipation des femmes (émancipation qui passera, à une occasion, par le fait que la femme s’empare d’un couteau, filmé planté droit devant elle, entre ses jambes…), et dont la colère finit par prendre des allures de caprice, certes sinistre, mais profondément ridicule. N’étant pas encore le réalisateur politique virulent qu’il deviendra par la suite, Kôji Wakamatsu parsème néanmoins son film érotique d’une critique de la société patriarcale, et de la société de consommation (« Ne vaut-il mieux pas pour moi être une esclave torturée plutôt qu’une employée de tous les jours ? » se demande la femme).
Réjouissant, donc, et profondément drôle dans son discours, Quand l’embryon part braconner s’est pourtant attiré les foudres de la censure en France, récoltant une interdiction aux moins de 18 ans, alors que son contenu visuel est, sinon inoffensif, au moins bien anodin en ces temps de Truands et autres Audition tolérés, et d’Île de la tentation en prime-time. Finalement, la critique aura beau éreinter ses plus pertinents arguments pour défendre un film, la censure fera toujours mieux pour lui procurer une véritable notoriété : l’humour de la situation plaira sûrement à ce grand cinéaste jouisseur qu’est Wakamatsu, n’en déplaise à cette vieille fille frustrée et drapée dans les oripeaux mangés aux mites de la morale qu’est Dame Censure.