Soit deux lycéennes, Yasmina et Rim, et leurs copains respectifs, Salim et Majid. Alors que Rim s’absente quelques jours, les deux « frères d’armes » parviennent à convaincre Yasmina de leur faire une fellation dans un parking. Malheureusement pour elle, Salim a tout filmé et engage la jeune fille dans un bien vilain chantage. Présenté à Cannes en sélection « Un certain regard », À genoux les gars est un marivaudage nouvelle génération qui s’appuie, dans son déroulement comme dans ses dialogues, sur la démocratisation de son élaboration. Présenté comme une collaboration entre le réalisateur, la scénariste et les jeunes actrices, le film, qui se voit avant tout comme une plongée franche dans la jeunesse d’aujourd’hui, peine pour autant à convaincre sur la longueur et interroge sur ses parties pris de (non-)réalisation.
Sexe, smartphone et punchlines
L’intention principale du film, la représentation « réaliste » de la parole des jeunes sur la sexualité, est présentée à travers un cas limite (la sex-tape) inspiré du réel (l’idée de départ du film serait venue d’un témoignage sur Facebook). Tourné dans un appareillage très léger, proche des acteurs et monté comme une succession de dialogues, le film donne l’impression de s’introduire dans le quotidien d’une bande de potes des quartiers : une langue orale argotique et rapide (« wesh, ça va gros ? »), une écriture texto indéchiffrable portée à l’écran, des joutes oratoires ubuesques écrites par les actrices. Au spectateur de décider s’il juge que ce qu’il entend lui semble représentatif de la jeunesse d’aujourd’hui ou si cela relève d’un pur « effet de réel ». Ce qui compte, finalement, c’est plutôt les possibilités qu’offre ce choix. De fait, le dispositif n’est jamais aussi réussi que dans la découverte de ses vingt premières minutes et permet de produire un film plutôt drôle qui montre des jeunes filles (musulmanes) parler très librement de sexualité – « T’inquiète pas, on fait que du halal. » La légèreté de la production s’accommode de la spontanéité du verbe et fait accepter comme un charme supplémentaire sa progression bancale proche de la téléréalité. Ce côté « cash », assez rare dans le cinéma français, restera comme le choix structurant du film. Pour autant, on doit s’interroger : qu’est-ce que cette représentation de la jeunesse, dont le réalisateur se dédouane en mettant en avant ses acteurs, mais dont il reste l’organisateur ? Quelle est la valeur de ce point de vue ? Cette question est d’autant plus critique que la seconde partie du film évolue sur des terrains glissants qui interrogent sur les choix de scénario.
Essoufflement verbal
En effet, ce qui fonctionnerait dans le cadre restreint du court métrage (voir notre article sur Haramiste, le moyen métrage de Desrosières) ou d’une série courte peine à se transformer en long métrage réussi. Antoine Desrosières semble courir derrière ses acteurs et peine à insuffler des idées de mise en scène. Scène après scène, la troupe s’enfonce dans la bêtise de son scénario et enferme ses personnages dans des postures forcées. Seule une jolie scène de lit entre Yasmine et un dealer black, très frontale, dégage une certaine tendresse. En dehors de cette parenthèse explicite, le film ne se renouvelle pas, les scènes s’étirent et mettent de plus en plus mal à l’aise devant les choix que font certains personnages (en particulier les garçons, qui ne sont pas épargnés par le scénario très démonstratif). La pirouette par laquelle le film se termine laisse même une forte impression de gêne : la vengeance des filles ne les élève pas au-dessus de leurs congénères, elle les place strictement au même niveau. Au bout du compte, comme Divines en 2016, À genoux les gars ne parvient pas à faire de l’énergie de ses acteurs un projet de cinéma réussi ; mais, contrairement à lui, Divines assumait ses intentions et ses choix de mise en scène. À genoux les gars, comme laissé en roue libre, s’enferre au contraire dans un point de vue et un propos pour le moins ambigus.