C’est séparé de son complice David Moreau que Xavier Palud nous revient. Cette fois, le co-réalisateur d’Ils s’attaque au polar, avec un budget digne de ce nom, en partie dû à l’implication d’EuropaCorp, la boîte-à-Besson. Or, qui dit EuropaCorp, dit emprise colossale du réalisateur infantile des Arthur et autres Cinquième Élément sur le film, souvent pour le plus caricatural. De ce point de vue, À l’aveugle ne fait pas exception à la règle, mais la sensibilité artistique et la culture de Xavier Palud surnagent malgré tout. Quant à savoir ce qu’il est advenu du talent radical qui avait été révélé dans Ils, la question reste posée.
Le film ne fait pas longtemps mystère de l’identité de son tueur – et c’est, d’ailleurs, une force. À l’aveugle oppose ainsi un flic dur à cuire, revenu de tout (Jacques Gamblin) à un aveugle qui se révèle être un tueur d’élite (Lambert Wilson). Le mobile de ce dernier, en revanche, va demeurer nébuleux, et devenir le centre de l’intrigue. En bonne production EuropaCorp, le film se sert d’un concept prétexte (l’apparente antinomie entre les états d’aveugle et d’assassin) pour aligner les jalons classiques : grosses bagnoles, joli minois en second rôle (Raphaëlle Agogué), mépris souverain pour le son (malgré un sujet qui rend cet aspect central), testostérone foisonnante…
Viril et macho, À l’aveugle aligne avec un sérieux imperturbable les dialogues les plus caricaturaux, et semble inconscient d’avoir, ce faisant, ranimé un des aspects les moins enviables du polar de série B des années 1980 dont il se réclame visiblement. Il faut bien dire que Gamblin et Wilson, trogne ravagée et lunettes noires mystérieuses, s’y prêtent remarquablement. Les deux acteurs semblent jubiler à jouer des personnages si fortement typés et, avec Raphaëlle Agogué en loyale sidekick, s’amusent à rejouer leur Heat à eux.
Où se situe, dans tout ça, Xavier Palud ? Entre le talon de plomb du cahier des charges Europacorp et l’ego de ses deux têtes d’affiches ? Malgré tout, le réalisateur parvient à exister, à l’écran, avant tout par le catalogue de références qu’il y convoque : il filme la ville comme Michael Mann, un meurtre baroque, des ombres nocturnes, des couteaux comme Dario Argento, place l’entièreté de son film sous l’influence bleu-nuit pluvieuse du Blue Steel de Kathryn Bigelow (une photo pour laquelle on saluera également le travail de Michel Amathieu), et va jusqu’à évoquer, via la confrontation de ses deux protagonistes, l’univers de John Woo, tout particulièrement The Killer. Le tout, avec un talent de copiste certain. Comme, en son temps, pour l’oublié Human Zoo de Rie Rasmussen, on en est cependant réduit à se demander ce qu’il en est du talent réel de Xavier Palud, ce qu’il pourrait faire libéré d’une production par trop encombrante. La sensibilité fine, la culture manifeste de son réalisateur, le plaisir cabotin et rigolard de ses interprètes sauvent de justesse À l’aveugle, avant tout du traitement ridicule de son concept-prétexte, et de son triste scénario sans enjeu.