Inspiré d’un fait divers réel, le film de Moreau et Palud est appelé à faire date : c’est tout simplement l’un des meilleurs films d’épouvante français depuis Les Yeux sans visage (Franju, 1959). Éprouvant, crédible, hystérique, Ils brille avant tout par sa mise en scène et sa photographie. S’il offre de ce point de vue une parenté avec l’arnaque Blair Witch, Ils réussit partout où le survival américain laissait voir ses faiblesses.
Clémentine et Lucas filent le parfait amour dans une grande maison entourée de forêts, dans les environs de Budapest. Il est écrivain, elle est professeur de français, ils s’aiment, et tout va pour le mieux. Jusqu’à ce qu’une nuit, Clémentine ne soit réveillée par des bruits incongrus à l’extérieur de la maison. Sans savoir qui – ou ce qui – les traque, les deux amants doivent bientôt faire face au siège de leur maison.
David Moreau et Xavier Palud sont partis d’un constat simple pour réaliser ce premier film : « Nous voulions juste faire un film qui fasse peur à ceux que cela tente. […] Ce qui terrifiait le plus les gens, c’était l’idée d’une intrusion chez eux. » Les deux réalisateurs se réclament des films d’horreur des années 1980, qui cherchaient avant tout à créer des sensations fortes chez les spectateurs, sans complexe. Il est certain que la trame de départ d’Ils n’est pas des plus originales, mais ce qui différencie avant tout le film d’une énième version d’Alien, c’est avant tout la crédibilité extrême du propos. Ainsi, nous sont ici épargnées les sempiternelles idioties du genre, qui veulent par exemple que les protagonistes se séparent aux moments les plus incongrus, ou qu’ils se décident soudainement à céder à leurs pulsions libidineuses pour remplir le quota de scènes gentiment affriolantes.
Ici, rien de tout cela : les dialogues sont réduits au minimum vital – si l’on peut dire – et toujours justifiés, servant avant tout à renforcer l’identité des deux personnages. Soumis à rude épreuve lors du tournage, les deux acteurs principaux Olivia Bonamy et Michaël Cohen portent le film sur leurs épaules avec un jeu sobre et expressif. Ils parviennent à palier l’absence de cris hystériques via un jeu d’acteur subtil, pour camper deux individus dont la réalité bascule soudainement dans une violence absurde. Le choix d’Olivia Bonamy pour la protagoniste féminine pourrait sembler étonnant, au vu de sa seule incursion dans le genre, dans la série Z explosive Bloody Mallory. Elle est ici méconnaissable pour qui se souvient de cette performance, et tient d’Ellen Ripley : un personnage de femme forte et sensée, qui donne un sens réel à l’hystérie qui la gagne alors que progresse l’intrigue.
C’est une vue subjective qui guide le regard de la caméra, avec la montée en puissance de cette violence. Commençant le film avec nombre de plans fixes et larges, la mise en scène se laisse bientôt contaminer par l’angoisse omniprésente, privilégiant rapidement les plans serrés, sombres et claustrophobiques, arrivant enfin à un climax enfiévré lorsque les protagonistes cèdent définitivement à la panique. Si le procédé n’a rien de particulièrement novateur, la maîtrise dont font preuve les réalisateurs dans ce premier film est tout simplement éblouissante : le récit reste toujours très maîtrisé, refusant de se laisser aller à la facilité pour dépeindre avec exactitude une angoisse étouffante vite transformée en peur panique. Mais ce qui est surtout mémorable, c’est qu’à aucun moment la caméra ne quitte les protagonistes : n’est montré à l’écran que ce dont ils peuvent avoir conscience, ce à quoi eux-mêmes peuvent se raccrocher. Le propos est ici nettement défini : le film a vocation à susciter l’angoisse, et invoquer cette angoisse requiert une bonne connaissance de ses mécanismes cinématographiques. La solide culture de série B des réalisateurs sert admirablement le propos, et donne au film toutes ses lettres de noblesse.
Comme pour The Descent, toutes les gammes possibles de la peur sont utilisées dans ce film, et comme pour ce film-phénomène, tout est parfaitement crédible, reposant sur une grammaire cinématographique parfaitement maîtrisée. La seule différence réelle entre les deux films étant que, si The Descent recourait finalement au surnaturel, Ils reste jusqu’au bout dans le domaine du réel, laissant la dernière terreur pour la fin, proprement monstrueuse. Plus audacieux encore que son cousin anglais, Ils ne se sert de la figure du monstre que pour lui donner le visage le plus inattendu, et le plus éprouvant moralement. Sans compromis ni facilité, Ils ouvre les portes de la cour des grands cinéastes de l’épouvante à ses réalisateurs. À suivre !