Film « indépendant » américain — au sens d’un Little Miss Sunshine ou d’un Frozen River : petit budget, acteurs connus sans être des stars, rapport à une réalité américaine, mais repères narratifs identifiables du point de vue mainstream — Adam, premier film de Max Mayer, emprunte les pas d’un genre toujours prisé du cinéma hollywoodien de compassion : le drame impliquant des individus sujets de troubles du comportement — dus à l’autisme, à la schizophrénie, etc. Mais attention : loin — espère-t-il — de l’artillerie lourde d’un Rain Man ou d’un Soliste, il aspire à la sobriété et au ton « juste » pour dépeindre son personnage en proie à sa maladie et en quête d’intégration sociale — avec toute l’étroite vision du réel qu’implique sa définition au minimalisme convenu de la « justesse ». L’effort, au moins, serait un peu louable si derrière le changement de posture, les tics de représentation formatée de « l’anormalité » de tels malades n’avaient pas à ce point la vie dure.
On aurait sincèrement voulu voir, dans cette romance new-yorkaise entre une enseignante « saine » et un ingénieur atteint d’une forme d’autisme léger, autre chose qu’une énième déclinaison, plus précautionneuse mais guère plus originale ni plus incarnée que la moyenne, de l’entreprise standard d’apitoiement du bourgeois sur « la différence ». La première partie, où l’aspect pathologique de l’état du personnage éponyme est encore hors champ, attire l’indulgence et l’intérêt en faisant miner de dessiner quelque discours hors du genre et de la convention, dans la rencontre et l’apprivoisement mutuel entre deux êtres bien asynchrones, l’un à la recherche de l’autre qui l’évite sans s’en rendre compte tout le désirant maladroitement. Pour un peu, dans cette valse-hésitation source de comique, l’excentricité d’Adam n’apparaîtrait pas comme un trouble sur lequel il faudrait s’apitoyer, mais comme un défi inconscient, rafraîchissant, salutaire en un sens, aux contraintes de la norme. Mais l’illusion ne dure que le temps que le film en vienne à se signaler comme un drame sérieux, à énoncer les mots techniques qui étiquettent et cloisonnent tout, à éplucher les références médicales de sa documentation : « syndrome d’Asperger », des génies comme Einstein en auraient été atteints, on peut vivre avec parmi les gens normaux, il y a des manuels pour ça, etc.
Le double langage de la compassion
Peu importe, alors, que le scénariste-réalisateur ait déployé des trésors de précaution pour ne pas se compromettre dans la pure exploitation de l’affliction : choix d’une « maladie-curiosité-du-moment » pas trop spectaculaire de sorte que l’acteur Hugh Dancy en fasse moins de tonnes que Dustin Hoffman, réalisation aspirant à la neutralité et à l’absence de prise de risques, fin en demi-teinte porteuse à la fois de désillusions et d’espoirs. Ces choix-là marquent une attitude, une posture, mais pas vraiment un point de vue sur le fond, rien en tout cas d’une volonté profonde de traiter Adam autrement qu’en sujet d’étude et objet de compassion prudente. Car c’est tout ce qui reste à être pour ce personnage dès lors que son problème est nommé, cerné, défini et appuyé, dès lors que le drame mécanique et sans chair s’est installé pour de bon et se résout au sacrifice aux lieux communs de la représentation — entre infantilisation et classement en « animal dangereux » — des handicapés psychiques/mentaux ou ceux qu’on y assimile. Dont l’obligatoire scène de violence et de hurlements (celle qui marche à tous les coups : avec les autistes, les schizophrènes, les tueurs en série…), toujours là pour signifier l’impossibilité de se fier totalement à un tel handicapé dont le film a, au fond, autant peur que le public dont il prétend mettre en sourdine les préjugés.
Et puis, ce qui, plus encore, condamnait par avance cette idylle contrariée, c’est que ses deux personnages n’existent pas en tant que tels : ils ne sont que de purs prétextes, au spectacle d’une bizarrerie « freak » d’une part, à celui d’une certaine morale bien-pensante et rassurante d’autre part. Cela fonctionne toujours de la même façon, dans ce genre-là, dans ce duo forcé entre normalité troublée et excentricité pathologique, du couple Tom Cruise/Dustin Hoffman à celui-ci. Le personnage malade, caractérisé avant tout par son handicap forcément intimidant, ne peut évidemment pas espérer s’en sortir sans l’acceptation et l’aide des bien-portants, les « normaux ». Ceux-ci, individus lambda avec lesquels l’identification du spectateur est supposée immédiate, ont leurs propres soucis appelant un jugement moral consensuel (ici un père en délicatesse avec la justice, un ancien amour jamais rappelé), jugement qui sera progressivement prononcé par le film à travers les agissements du malade. Chacun d’eux, traité en simple pièce d’une mécanique de scénario dramatique, ne sert qu’à l’exhibition de la caractérisation de l’autre, et à l’énonciation finale d’une conclusion au mieux médiocre, au pire hypocrite.