« On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille…» : la chanson a beau être française, elle pourrait bien être le mot d’ordre de nombreux cinéastes américains qui, de Todd Solondz (Happiness, Palindromes) à Noah Baumbach (Les Berkman se séparent) en passant par Sam Mendes (American Beauty), Wes Anderson (La Famille Tenenbaum, La Vie aquatique) et Ang Lee (Ice Storm), n’en finissent plus de décortiquer les travers de la cellule familiale version yankee. Mais c’est surtout une série télévisée, créée par Alan Ball (le scénariste d’American Beauty) qui fait figure désormais d’œuvre définitive sur le sujet : en cinq années, Six Feet Under a réussi, par la complexité de ses personnages et la radicalité de son propos, à offrir le point de vue le plus complet et le plus bouleversant sur les liens du sang, les familles dont on hérite et les familles que l’on se crée.
L’œuvre a beau être télévisuelle, elle est quasi indépassable tant ses qualités d’écriture, de mise en scène et d’interprétation ont permis d’explorer toutes les possibilités scénaristiques, couvrant plusieurs genres (de la comédie au drame en passant par le thriller) avec bonheur. C’est donc avec une certaine appréhension, voire une pointe d’agacement, que l’on voit débouler sur nos écrans Little Miss Sunshine, premier long métrage de Jonathan Dayton et Valerie Faris, dont la présentation à Sundance 2006 a été accueillie avec l’enthousiasme démesuré dont le festival s’est fait la spécialité ces dernières années. Gros succès au box office américain, Little Miss Sunshine est une de ces comédies légèrement décalées, dont le cynisme affiché dès les premières minutes n’est qu’un prétexte pour justifier l’optimisme triomphant qui caractérise la dernière demi-heure.
Alliant deux traditions cinématographiques purement américaines (la comédie dramatique familiale et le road-movie), Little Miss Sunshine raconte l’histoire improbable des Hoover, une famille où (presque) tout le monde braille sans jamais s’écouter : le père, Richard (Greg Kinnear), est un écrivain raté obsédé par la positive attitude, qui cherche désespérément à faire publier sa Méthode de Réussite Personnelle ; la mère, Sheryl (Toni Collette) tente tant bien que mal de faire le lien entre les différents membres de la famille sans (trop) verser dans l’hystérie ; son frère, Frank (Steve Carell, génie comique méconnu dans nos contrées mais prophète en son pays), cumule les traits du rôle à oscar : intellectuel, homosexuel, dépressif et suicidaire ; le grand-père (Alan Arkin) s’est fait virer de sa maison de retraite pour avoir sniffé de l’héroïne et le fils, Dwayne (Paul Dano) s’est réfugié dans un mutisme définitif pour signifier sa haine des autres en général et de sa famille en particulier. Reste la petite fille, Olive (Abigail Breslin), obsédée par un concours de mini-Miss, « Little Miss Sunshine », et dont la présélection va obliger toute la joyeuse bande à traverser une bonne partie des États-Unis à bord d’un van en piteux état.
Les personnages, stéréotypés juste comme il faut pour rentrer dans les critères requis par le cinéma indépendant américain, n’en sont pas moins attachants, grâce à des dialogues souvent mordants et des comédiens visiblement ravis du jeu de massacre. Jouant à fond la carte de l’antagonisme entre les différents caractères qui peuplent cette tribu, les deux réalisateurs ne s’embarrassent pas d’une quelconque ambition formelle et laissent tourner leur caméra en prenant bien soin de valoriser (ou humilier, c’est selon) chaque personnage afin que, comme dans toute bonne série télévisée qui se respecte, le spectateur ait suffisamment de temps pour choisir son préféré.
L’influence du style télé sur la progression dramatique du film est flagrante : sans parler de l’esthétique empruntée aux codes en vigueur sur HBO, Little Miss Sunshine est construit comme un épisode en deux parties d’une série dont on se doute qu’elle est plutôt bien troussée, mais à laquelle on a du mal à s’intéresser parce qu’on a raté les saisons précédentes. De la longue scène de repas au début du film (un passage obligé dans les fictions télé américaines) au final à la fois réunificateur, libérateur et somme toute, très moral, rien ne vient contrarier l’équilibre d’un film pétillant, plein de bons mots et de situations cocasses, mais dénué de toute prise de risque. La noirceur du propos, l’incapacité de chaque personnage à se remettre en question semblent n’exister que pour justifier le retournement final, à savoir une célébration de l’acceptation de soi, des autres… et de la famille. Un propos tout à fait acceptable et par moments réellement émouvant, mais qui commence à sentir un peu le réchauffé. Car en dépit d’une volonté évidente de choquer le spectateur américain moyen à coups de formules trash (le grand-père héroïnomane et lubrique, le cadavre volé à la morgue, le très caricatural concours de Miss – certes très drôle, mais un peu facile), Little Miss Sunshine n’est en fin de compte qu’une comédie familiale nouveau genre, du style que les studios produiront à la pelle dans dix ans, quand les trentenaires d’aujourd’hui auront vieilli. Une évolution certes plaisante, mais dont l’audace reste hélas limitée.