Cette semaine sort sur nos écrans ce joli film costaricien, qui vient apporter sa pierre à l’édifice des cinématographies émergentes en provenance d’Amérique du Sud. Agua Fría est un film de bord de mer, qui se dévoile tout en douceur, creusant tranquillement la trajectoire de deux personnages féminins déroutants.
Les premiers plans du film annoncent clairement la couleur : une plage, des enfants qui jouent, les flux et reflux de la mer, un soleil de fin d’après-midi. Agua Fría se pose plus dans la mouvance contemplative du splendide La Barra, que dans la lignée des cinématographies plus importantes d’Amérique du Sud (Argentine, Mexique…), avec un point de vue très personnel sur la situation du Costa Rica. On pourrait pourtant trouver quelques points communs avec le film colombien d’Oscar Ruiz Navia. Au niveau de l’aspect formel, ces deux films travaillent sur la suspension du temps et de l’espace, créant des béances salutaires dans la narration, à mi chemin entre la flânerie et l’errance, délimitant une avancée du récit en pointillé. D’un point de vue thématique, on retrouve le même attachement à une nature sauvage et flamboyante, dont les premiers signes avant-coureur de menace sont l’installation de quelques gringos et d’hôtels touristiques dans la région.
Mais là où La Barra se révèle parfois être un film âpre, mené par la quête mystérieuse de l’ex-soldat, Agua Fría travaille avec un étrange calme la perte de repères de ses deux personnages féminins. Karina est une fillette qui passe ses vacances du Nouvel An à camper sur la plage avec ses parents, câlinée par un père qui en a fait sa favorite. Le lieu de campement est un agréable cocon, où les enfants passent leurs journées à jouer dans le sable. Et pourtant, au beau milieu de la nuit, la petite Karina part seule sur la plage, dans une sorte de fugue, et traverse la jungle, tel un fantôme d’Oncle Boonmee, pour s’endormir sous un buisson. C’est alors qu’un jeune couple, Rodrigo et Mariana, venus dans la région pour y négocier la vente d’un terrain, découvrent la petite fille. S’ensuit une séquence extrêmement surprenante, où Karina leur raconte que ses parents sont morts…L’apparition de la jeune fille dans les fourrés, tout comme la nuit en elle-même, sont mis en scène comme une curieuse hallucination (voir notamment le plan magnifique où Karina croise des gens à cheval sur la plage). Mais le lendemain, Karina a disparu. Nous, spectateurs, savons qu’elle est retournée auprès de ses parents, mais Mariana n’en sait rien.
Ce motif d’inquiétude va ainsi travailler toute la suite du film, pour lentement vicier les relations entre les personnages, et la nature elle-même. Une invasion de serpents morts sur la plage, des insectes agonisant au soleil donnent lieu à une vision presque biblique des évènements, en rapport avec les dix plaies d’Égypte. Le récit construit également d’étranges parallèles entre les deux personnages : la petite fille est piquée par un serpent, pendant que sa disparition agit comme un venin sur Mariana et son couple. Recluse dans sa chambre d’hôtel pendant que Rodrigo tente de vendre le terrain de son père, Mariana retourne vers un état d’enfance, fait de petits caprices et de moues incompréhensibles pour son compagnon. L’errance de ce personnage renvoie à la fugue de Karina, et travaille une thématique explicitement chère à la réalisatrice : le sentiment que, dans un petit pays isolé comme le Costa Rica, la jeunesse se trouve laissée à elle-même. Le récit développe en son sein cette absence d’enjeux déterminants, à travers l’impossibilité de retrouver la fillette pour lui porter assistance, Mariana étant comme paralysée par l’environnement factice de cet hôtel quasiment vide d’âmes.
Cette inertie fait ainsi la force et l’originalité du film, même si la description d’un sentiment de vide intérieur et d’inutilité peut paraître un brin poseuse par moments. Mais ceci est contrebalancé par la qualité de l’interprétation des acteurs, tous non-professionnels, et plus spécifiquement les membres de la famille de Karina. Les parents, notamment, en qui Paz Fábrega trouve un point d’ancrage suffisamment fort pour éviter le piège d’un film dont l’aspect introspectif pourrait être indigeste. Car la description du quotidien sur la plage vient célébrer, par le biais de plusieurs séquences de jeu avec les enfants, le bonheur de pouvoir profiter d’un environnement idyllique, des rires, des bêtises des uns et des autres. Malgré la déprime qui s’empare des deux personnages féminins, Agua Fría réussit à atteindre de brefs instants de plaisir, où ce que l’on pourrait considérer comme ordinaire prend un tout autre prix. Et de nous susurrer à l’oreille, que lorsque tout paraît noir à l’intérieur, il faut savoir regarder autour de soi pour saisir la joie d’être simplement là.