Très belle surprise, All That I Love s’empare des bouleversements du début des années quatre-vingt en Pologne via un récit personnel très maîtrisé. Délaissant la stricte reconstitution historique, son réalisateur met en scène les aspirations d’une jeunesse finalement universelle.
Le cinéma polonais se porte bien. Jerzy Skolimowski nous gratifie d’un somptueux et rêche Essential Killing. La jeune garde, quant à elle, se remet à explorer l’histoire contemporaine de son pays (voir, il y a quelques mois, Tribulations d’une amoureuse sous Staline, gros succès du box-office polonais), un temps délaissée au profit de films plus personnels aux thématiques intimistes, à vocation avant tout divertissante. Jacek Borcuch, déjà auteur de deux long-métrages avant celui-ci et également acteur, se penche sur les débuts de l’ère post-soviétique avec un à-propos salutaire.
Nous sommes au printemps 1981, en Pologne. La contestation est à son comble, fédérée par Solidarnosc. Mais le pouvoir ne lâchera pas. Le général Jaruzelski décrète l’instauration de la loi martiale. All That I Love, dans ce contexte, raconte l’histoire de quatre amis, fous de musique punk, qui rêvent de se rendre au festival de Jarocin. Dans cette petite ville de 25 000 habitants à égale distance entre Varsovie et Berlin, se tiendra au début des années quatre-vingt ce qui deviendra très vite le plus grand festival indépendant de tout le bloc soviétique : une véritable enclave de liberté, laissant les autorités et la censure totalement dépassées.
Dans All That I Love, le récit n’est pas pris en charge par une reconstitution historique minutieuse des grandes grèves, et c’est sa force. Du début à la fin, l’histoire reste en toile de fond : elle contextualise, situe, enchâsse le récit, mais reste « à bonne distance » : celle qui permet au réalisateur de déployer des personnages uniques et non des pantins de figurants pour documentaire télé à peu de frais. L’histoire de la Pologne de cette époque se cristallise autour d’une question : comment expérimenter la liberté ? Et, si des « personnages types » tentent de répondre précisément à cette question, où et quand que ce soit, ce sont bien les figures adolescentes. Double coup donc, pour le réalisateur, qui met en scène de fait cette expérimentation à la fois via la grande et la petite histoire. Son héros, Janek, est incarné par un étonnant jeune acteur, totalement inédit à l’écran, fascinant dans sa façon de prendre en charge le punk et l’émotion, la rage et la délicatesse. Belle gueule, regard concerné : au-delà d’apporter une fraîcheur ou un rêve pour midinettes, le jeune homme possède un véritable talent pour faire passer des sentiments pas toujours évidents à mettre en scène au cinéma : les tourments du passage à l’âge adulte, qui plus est dans le contexte décrit plus haut. La force de All That I Love réside d’une part dans cette empathie évidente avec les personnages créés par Jacek Borcuch (et dont on devine que Janek est le double) et d’autre part dans l’absence d’une psychologisation trop évidente. Il évite la caricature au profit de personnages plus complexes, comme celui du père militaire, très réussi. Loin d’incarner une dichotomie bons / méchants, grévistes / armée, c’est un père qui ressemble bien plus à son fils qu’il n’y parait au premier abord. Une ressemblance jamais lourdement appuyée, mais amenée plus subtilement, notamment par l’humour, jusqu’à la très belle scène – la seule où on le voit en civil – entre son fils et lui après la mort de la grand-mère.
Et si les personnages sont totalement réussis, la mise en scène n’est pas en reste. L’auteur construit l’espace autour de la musique, jouant avec l’alternance des huis-clos et des horizons, entre l’appartement du héros, le vieux camping-car où il répète, et la mer comme promesse de liberté. En plus de réussir un pari compliqué – un film en grande partie autobiographique sur sa jeunesse – le réalisateur déploie une palette de couleurs et de lumières fascinante, du crépuscule au bout de la jetée aux images quasi floutées des errances du héros. Les images grises et ternes trop attendues pour un film dont l’action se situe en Pologne se substituent à des tons plus subtils : des pastels passés alternant entre violence et délicatesse, dans une gamme toujours naturelle qui empêche de sacrifier le vraisemblable. Jacek Borcuch ne cherche pas à faire de son film un conte idéalisé, mais à relater un pan d’histoire du bloc de l’est en mouvement via des protagonistes d’autant plus en mouvement qu’ils transitent petit à petit vers l’âge adulte. Un récit véridique à l’opposé de son précédent film, Tulips, dans lequel il imaginait le passé comme il aurait souhaité qu’il soit.