Des difficultés de l’adaptation : venus, comme Animaux & Cie, d’Allemagne, les superbes Trois Brigands d’Hayo Freitag se libéraient avec brio des contraintes de l’adaptation d’un conte pour enfants très populaire, en rajoutant avec inventivité du matériau au texte originel. Animaux & Cie adapte la Conférence des animaux d’Erich Kästner, un tantinet moins populaire mais issu du même domaine que le conte de Tomi Ungerer, mais la translation vers la version cinématographique du récit ne se fait, cette fois, pas sans heurts : coupures drastiques de récit, incohérences flagrantes… – la maîtrise de la dynamique narrative au cinéma semble hélas faire défaut aux réalisateurs.
Convoquer l’humanité entière dans une œuvre n’est pas donné à tout le monde : il faut pour ce faire plus de 500 personnages à Claudel dans le Soulier de satin, tandis qu’un Stephen King se veut plus modeste, mais répète le procédé dans son œuvre entier. Les quatre scénaristes du film – parmi lesquels se trouvent les deux réalisateurs – ont manifestement la même ambition : ils vont ainsi aller pêcher un ours blanc, au pôle donc, un diable de Tasmanie et un kangourou d’Australie, deux tortues des Galápagos et un coq français, qui vont tous se retrouver, grâce à leurs compétences de navigation hors pair certainement, sur les côtés de l’Okavango, Afrique, dernier paradis terrestre pour des animaux toujours plus menacés par les actions de l’homme. Soit. Là, les résidents de l’endroit sont aux prises avec l’humanité, via un projet immobilier qui pompe toute l’eau de la vallée – le groupe va donc se joindre aux animaux locaux pour mettre fin à la menace de l’homme. Soit.
Que le hasard mette en présence les protagonistes, soit encore. Pourquoi pas ? Ce qui pourrait n’être qu’une astuce visant à démarrer le récit, cependant, non seulement traîne en longueur, mais également se répète tout au long d’Animaux & Cie. Le film multiplie ainsi les facilités. Si cela n’était que pour s’accorder au rythme du récit, pourquoi pas, là encore ? Mais non. Avant de lancer son récit à proprement parler, Animaux & Cie multiplient les anecdotes sans intérêt (la multiplication des bisbilles autour du point d’eau, l’oracle, les leçons de philosophie de Socrate le lion, le « guépard » hantant la Vallée de la mort, les jeux aberrants des animaux dans les salles du complexe hôtelier…), ralentissant son propos, alourdissant sa dynamique. Par son caractère entropique, l’arrivée des animaux naufragés rejoint ces anecdotes, ne présente aucun intérêt réel.
Que le film ait été voulu comme un cartoon, on le comprend bien. Le gros défaut d’Animaux & Cie aura donc été de vouloir installer son récit slapstick délirant et inoffensif dans une problématique plus large, « environnementale », ici aussi artificielle que la 3D, l’un comme l’autre étant ressentis comme des effets de mode non assumés. Les voix françaises, catastrophiques, finissent de couler le film : entre un Élie Semoun, geignard comme à son habitude, et un Yves Lecoq, donnant sa voix au coq français sur le mode « résurrection du Jacques Chirac des Guignols », d’autres voix (les buffles et rhinocéros, notamment) affectent des accents raciaux qui confinent bien vite au racisme primaire.
Le pire, dans tout cela, c’est le film que l’on devine dans Animaux & Cie, celui que laissent entrevoir certains aspects du scénario. Le conte original proposait une utopie politique naïve, mais réelle : celle d’un monde où le parlement des animaux et des enfants s’opposait à la vilénie vrillée au corps des adultes. Animaux & Cie, quant à lui, voit, malgré son propos volontairement mièvre, les animaux prendre les armes contre les hommes ! Le final, d’un tout autre ton que le reste du film, propose une vision d’apocalypse qui ne sera pas pour déplaire aux plus extrêmes des éco-terroristes, et prolonge ce propos présent en filigrane. On comprend alors ce qu’aurait pu être Animaux & Cie, un conte à l’ironie féroce, peut-être proche du Fantastic Mr Fox adapté de Roald Dahl. Est-ce par manque d’expérience, de talent ? Animaux & Cie ne se montre aucunement digne de cette promesse devinée – juste un conte tiède, sans autre ambition affichée que celle de surfer sur l’air du temps idéologique et technique.