Vieil enfant couvé par les studios, obtenant les faveurs des producteurs, le cinéaste Wes Anderson a, depuis La Vie aquatique, obtenu un succès d’estime et une dimension que l’on jugera étrange si l’on sait que ses comédies sont travaillées par une sensibilité burlesque peu académique. Auteur d’une filmographie originale et reproducteur d’un système largement identifiable, Wes Anderson avait déçu et montrait les limites de son dispositif minimaliste lors de son escapade indienne À bord du Darjeeling Limited. Encombré par le poids de valises qui exhibait bien l’enfermement égocentrique et autobiographique de ses personnages, l’alchimiste pop creusait une veine et des types rattrapés par leurs contours caricaturaux. Car si l’exil d’À bord du Darjeeling Limited dévoilait une volonté de dépassement, son principal écueil tenait à ce qu’aucun risque ne fût entrepris pour libérer une forme alors rattrapée par son inquiétante répétition. Le projet d’adaptation du livre de Roald Dahl, Fantastic Mr Fox, devait être alors compris comme un élan et une proposition de contournement à la marche d’un univers travaillé et empêché par de problématiques enjeux d’échelle.
Fantastic Mr Fox est l’adaptation du roman enfantin signé par l’auteur gallois Roald Dahl. Récit sous forme de conte, Fantastic Mr Fox rejoint davantage l’univers de James et la grosse pêche que celui de Charlie et la chocolaterie. Le film met en scène un monde qui, comme dans La Ferme des animaux de George Orwell, rassemble des animaux ressemblant à une race de bipèdes doués de langage d’un côté et des figures humaines viciées par leur cupidité primaire de l’autre. L’intérêt étant que différents groupes d’animaux et d’hommes coexistent a priori avec leurs différences mais qu’un instinct de survie va les pousser à s’affronter et rentrer en conflit. On comprendra rapidement que le moteur de l’histoire de Fantastic Mr Fox repose sur la confrontation binaire entre une brillante famille de renards et d’ignobles propriétaires fermiers.
Ex-voleur de poules au corps d’un athlète, digne représentant de la fameuse ruse qui caractérise son animalité, Mr Fox est un maestro chapardeur qui ressent une jouissive euphorie lorsqu’il va dérober des poules chez ses voisins. Mais sa forme olympique et ses échappées transgressives sur d’autres propriétés sont aujourd’hui incompatibles avec son âge avancé et la vie de famille dont il a la responsabilité. Apeurée face au danger que représentent ses escapades nocturnes, sa femme renarde, Felicity, le somme donc de rentrer dans le rang et d’adopter l’attitude responsable d’un digne père de famille à l’écoute de son fils. Mais, alors qu’il s’essaye à des travaux éditoriaux et domestiques, Maitre Fox se sent profondément lesté et son accointance naturelle pour la chasse à courre revient au galop. C’est en déménageant sa petite famille au cœur d’un hêtre situé à quelques encablures d’usines spécialisées dans l’élevage de volaille que les nouveaux exploits de Mr Fox vont mettre en péril l’existence de sa famille et toutes les espèces animales (rat, taupe, castor, lapine, mulot…) bientôt rendues sous une barrière de résistance contre les ignobles industriels.
Tourné en stop-motion, technique artisanale d’animation qui requiert un travail de composition plan par plan, le nouveau film de Wes Anderson a d’abord connu une genèse assez étrange. Même si on ne peut l’identifier clairement au contact du film, Wes Anderson a dirigé son film dans un bureau situé à des kilomètres des techniciens et des laboratoires d’animation où s’est réalisé le film. Le départ à la photographie d’Henry Selick (Coraline) s’est aussi vu rapidement remplacer par Tristan Oliver (Chicken Run, Wallace & Gromit). Ces considérations n’étant qu’une manière de dire la position privilégiée de Wes Anderson et la difficulté d’identifier la paternité d’un film où les idées propres au réalisateur et le travail d’animation restent parfois indiscernables. Or le scénario adapté du conte de Roald Dahl s’avère être une véritable adaptation où transparaissent bien la patte et l’univers de Wes Anderson. Même si les effets de montage sont scandés avec moins d’éclat que dans ses films tournés avec de véritables acteurs, Fantastic Mr Fox semble avoir trouvé un bon dosage entre les motifs privilégiés du cinéma de son auteur et un parti pris animé où l’imaginaire du conte est censé se dérouler de la manière la plus fluide qu’il soit. Ainsi, les digressions narratives où un élan futile glisse en toute légèreté (voir le sport appelé Whack-Bat), les rapports filiaux (l’imposante ombre du père qui étouffe son fils Ash), le caractère quasi libertaire du protagoniste (les intelligents stratagèmes de Mr Fox rappellent ceux de Royal Tenenbaum et de Max Fischer dans Rushmore)… toutes ces préoccupations qui identifient le cinéma de Wes Anderson restent présentes en filigrane mais s’inscrivent de manière plus sobre et humble par rapport au déroulement nombriliste d’À bord du Darjeeling Limited. La nature même des figures du film d’animation allié au degré final de l’obédience marionnettiste de l’auteur, implique alors pour Fantastic Mr Fox la tenue d’un ton léger et d’une récréation enfantine où la gravité sous-jacente devait être gommée pour ne pas nuire à l’ensemble.
Mais ce qui pouvait comporter de sérieux problèmes d’adaptation pour les figures du cinéma de Wes Anderson tenait à la conversion d’un cinéma où l’humain avait place centrale à l’irréalité du film d’animation. Ce que l’on vérifie à l’échelle des figurines animées de Fantastic Mr Fox, c’est l’impossibilité d’afficher clairement la sous-expressivité d’un faciès et la charge mélancolique que l’acteur revêt en tant que masque pour traduire l’état du personnage andersonien. La désinvolture cynique d’un vieux loup de mer comme Bill Murray l’interprète dans La Vie aquatique, ne trouve malheureusement que peu d’écho sur la figure de marionnettes qui semblent souvent étouffées par leur faciès broussailleux et prisonnières de leurs expressions clôturées. La transposition vers le film d’animation des visages éteints d’acteurs implique donc, pour le dernier film d’Anderson, une perte, un relatif étouffement de cette impassibilité vague qui donnait toute sa fragilité aux précédentes figures. Malgré ces manques particuliers à la rencontre entre Wes Anderson et l’animation, c’est la réunion des timbres et les différentes voix qui permettent de relever le film et d’offrir un souffle particulier à chaque figure. Et même s’il faudrait se pencher sur la différence de langue entre les voix françaises (Mathieu Amalric et Isabelle Huppert) et voix anglaises, il est indéniable que Wes Anderson a eu un flair unique pour la distribution des voix et plus particulièrement pour l’emploi du timbre grave et flegmatique de Clooney (Mr Fox) et celui fragile et monocorde de Jason Schwartzman pour l’adolescent Ash.
Sans prétention aucune, le scénario de Wes Anderson suit quant à lui la ligne mineure d’un conte dont la structure se reconnait et ordonne des péripéties gagnées par de purs moments de fantaisie (et deux savoureux clins d’œil à Citizen Kane et La Nuit américaine). Ce que l’on pourra retenir du dernier film de Wes Anderson, c’est qu’à l’embourgeoisement sclérosé que faisaient montre les frères du Darjeeling Limited, Fantastic Mr Fox répond par la cohésion d’une tribu à l’élan jovial, ludique et éminemment touchant.