A priori, d’un strict point de vue commercial, ce remake d’Annie n’était pas forcément une mauvaise idée. Le film original, réalisé en 1982 par un John Huston en fin de carrière et adapté d’un immense succès de Broadway (comédie musicale elle-même inspirée d’un livre pour enfants très populaire), aura marqué toute une génération de petits Américains enchantés par cette histoire d’une rouquine orpheline qui conquiert le cœur d’un milliardaire aigri. Contre toute attente, l’une des chansonnettes inoffensives chantée par Annie et ses copines dans leur pension, « It’s a Hard Knock Life », connut une seconde vie artistique grâce à Jay‑Z, qui en sampla le célèbre refrain dans un de ses premiers tubes. Pas étonnant donc de retrouver le rappeur à la production de cette nouvelle version cinématographique (aux côtés de Will Smith et son épouse) qui fait le pari de remplacer la gamine à la peau laiteuse et à la chevelure flamboyante par l’adorable Quvenzhané Wallis, vedette du film Les Bêtes du Sud sauvage qui lui valut, à 9 ans, une nomination à l’Oscar de la meilleure actrice. Le glissement de la comédie musicale très WASP des années Reagan vers un univers black et une production musicale très R’n’B pouvait laisser présager, sinon un grand film, du moins une relecture intéressante du mythe du feel good movie américain.
La vie en rose
Las, non seulement ce remake est une catastrophe d’un point de vue cinématographique, mais il reste désespérément frileux sur les thématiques sociales qu’il aurait pu aborder. Le milliardaire, ici incarné par Jamie Foxx (de tous les acteurs du film, celui qui s’en sort le mieux), est un magnat de la téléphonie mobile, candidat à la mairie de New York et allergique aux enfants, aux pauvres et tout ce qui ressemble de près ou de loin à une ébauche de sentiment positif. Sa rencontre fortuite avec la petite Annie, reine de la débrouille qui survit avec ses amies dans la pension dirigée par la terrifiante Mrs Hannigan (une Cameron Diaz en roue libre, toute en grimaces horripilantes et voix de crécelle), va pousser son entourage à lui conseiller de la prendre sous son aile, afin de redorer son image auprès des électeurs. Annie, elle, n’a qu’une obsession : retrouver ses parents biologiques. Évidemment, le cœur du cynique milliardaire finira par fondre devant l’irrésistible bagout de la petite Annie… On ne blâmera pas la profusion de bons sentiments à l’œuvre dans cette production au budget visiblement pharaonique : très clairement destiné à un public en dessous de 12 ans, le conte de fées ne s’embarrasse pas d’une quelconque complexité narrative et encore moins de la moindre ambiguïté. Mais la naïveté avec laquelle le réalisateur Will Gluck aborde certains sujets (le monde de la politique, forcément véreux ; l’administration américaine, évidemment truffée de cyniques) et évacue la question sociale (le personnage de Jamie Foxx cache derrière son imposante réussite une enfance difficile, évoquée rapidement afin de donner à la narration un vague crédit sociologique) au profit d’une débauche de moyens laisse pantois. La réussite, on le verra au détour d’une interminable scène chantée et dansée, c’est de posséder un luxueux penthouse dans le cœur de Manhattan (a contrario, aux yeux du milliardaire, Harlem est un repaire de prostituées et de clodos bourrés de microbes) : « I think I’m going to like it here ! » chante la petite Annie. Mais l’honneur sera bel et bien sauf quand à la fin, le milliardaire ému abandonnera toute ambition politique pour consacrer son argent à l’ouverture d’une fondation pour enfants illettrés (qu’on se rassure, Jamie Foxx garde quand même son appartement). Ouf !
Soupe musicale
Tout cela ne serait finalement pas bien méchant si le film remplissait son contrat : satisfaire les amateurs de musicals. Ce qui est vraiment loin, très loin d’être le cas. La production musicale noie tous les morceaux (les originaux comme les nouveaux titres composés pour l’occasion) dans une production R’n’B et pop de bas étage, et les numéros chorégraphiés manquent cruellement d’ampleur : abordés moins comme des tableaux musicaux que des clips à seule vocation publicitaire, ces derniers abusent de cadrages serrés et d’un montage épileptique à faire passer une vidéo de Kanye West pour la dernière œuvre de Bill Viola. Malgré tous ses efforts pour être la plus mignonnette possible, Quvenzhané Wallis finit inévitablement par agacer, tant le réalisateur s’évertue à transformer le moindre de ses sourires en argument de vente pour la bande-annonce. Ce ne sont certainement pas les nombreuses guest-stars au générique (Rihanna, Mila Kunis, Ashton Kutcher…) qui sauveront le film du naufrage. Visiblement appelées à la rescousse pour remplir un peu plus un film déjà surchargé, elles révèlent finalement un peu plus la véritable nature du film : une manœuvre commerciale vaine et poussive à l’opportunisme peu ragoûtant.