En 2013, Leonardo Di Costanzo réalisait avec L’Intervallo son (beau) premier long-métrage de fiction. Il est encore question d’« intervalle » dans Ariaferma, chronique d’un temps suspendu : dans une prison sarde en voie de démantèlement, une petite dizaine de détenus reste sur place en attendant leur transfert, sous la surveillance d’une équipe restreinte de gardes dirigée par le vétéran Gargiulo (Toni Servillo). La réduction de l’espace pénitentiaire à une poignée de cellules concomitantes induit dans un premier temps une exacerbation de sa nature panoptique. Par exemple, les seuls plans filmés depuis l’intérieur des cellules s’intègrent toujours dans une dynamique plus large de circulation de regards ou de la parole entre surveillants et détenus. Il n’y a, pour ainsi dire, pas de hors-champ possible ; on ne verra pas, comme c’est le cas ordinairement dans les films de prison, les discussions entre détenus à l’abri des regards ou les petites combines interlopes. Rien n’existe, en principe, en dehors du circuit induit par l’architecture même de la geôle. Or le film s’attache justement à ménager, au sein de cette structure parfaitement ordonnée, un chemin de traverse, en connectant ce noyau carcéral à un autre foyer : la cuisine, où Gargiulo accompagne Carmine Lagiola (Silvio Orlando), un mafieux promu cuistot pour les quelques habitants du complexe vétuste.
De fil en aiguille, cette faille en ouvre d’autres, couloirs abandonnées et cour conquise par la végétation, pour gommer subrepticement la frontière entre détenus et surveillants. L’attention aux échanges de regards, de moins en moins asymétriques, témoigne de l’ambition de la mise en scène, qui cherche à retourner la figure aliénante du panoptique en vecteur d’une circularité égalitaire. Il ne s’agit plus de « surveiller et punir », mais « de surveiller et unir », comme le pointe l’ultime séquence, qui laisse irrésolu l’horizon originel du récit (l’attente du transfert des derniers prisonniers), pour organiser un maillage de regards au centre duquel se tient Gargiulo, pivot de cette communauté bricolée. On pourra reprocher à Di Costanzo d’appuyer un peu trop ouvertement son propos, notamment par l’entremise d’une plongée zénithale qui ponctue une belle scène de dîner dans l’obscurité d’une panne d’électricité, actant la transformation de l’ordre de la prison en cercle parfait. Reste que la sobriété du film (à commencer par celle de Servillo, dont le jeu n’a jamais été aussi épuré) et sa patience permettent de déplier avec une certaine finesse les spécificités du décor et de cultiver, dans les plis du récit, une attention aux visages et aux corps, réhumanisés par le détournement du dispositif pénitentiaire.