Un père, un fils, un accordéon, réunis à Zagreb le temps d’un casting de film. Armin ou Little Miss Sunshine en version balkanique et plus sombre ? Plus simplement, un film aux émotions contrastées traitant de conflits multiples (intimes et culturels) où la question d’un autre conflit, la guerre de Bosnie, est portée en creux, comme pour mieux être dépassée.
Quelque part au fin fond de la Bosnie Herzégovine, père et fils attendent un bus en retard sous un ciel de pluie. Direction : Zagreb, où l’équipe du casting d’un film allemand les attend. Rapidement, l’escapade vers ce qui leur semble être l’équivalent croate d’Hollywood, tourne au vinaigre. Et si les façades vitrées des buildings et autres hôtels démesurées de la métropole se profilent enfin, l’adolescent et son père, Ibro, ne parviendront pas à y réaliser leur rêve. Pire, difficilement décroché à force d’obstination (d’humiliation ?), leur quart d’heure de gloire n’en aura même pas la durée. Réalisé par Ognjen Sviličić et co-produit par la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et l’Allemagne, Armin, est un film doux-amer traitant subtilement des relations père-fils et d’une certaine incompréhension culturelle opposant encore Est et Ouest, tout en portant du bout des lèvres la question de la guerre de 1992 – 95, toile (noire) de fond que le jeune réalisateur cherche à dépasser plutôt qu’à surmonter.
Adolescent mutique à l’allure gauche, Armin fait pourtant la fierté de son père. Son talent caché tient dans un large et lourd étui qui sera leur compagnon de voyage vers Zagreb. En dehors de ses cours de théâtre, Armin est en effet accordéoniste ; faculté qui, selon la stratégie d’Ibro, devrait suffire à elle seule à évincer les petits concurrents de son fils venus eux aussi séjourner à l’hôtel Holiday pour décrocher le rôle de l’enfant dans une coproduction germano-croate. Mais derrière l’image fantasmée d’un jeune prodige passionné par la musique et la comédie, Armin est en réalité à l’écran un adolescent peu communicatif à la limite du je-m’en-foutisme. Le long des couloirs bleus de l’hôtel, entre les parois métalliques de l’ascenseur ou face à l’objectif du photographe du casting, l’ado évolue à l’identique : les épaules basses, la démarche molle et le regard gêné ou agacé. Parfois maladroit voire mono-expressif dans son jeu (serait-ce là un problème de direction ?), Armin Omerović incarne malgré tout avec sincérité l’archétype de l’adolescent mal dans sa peau, se cherchant et visiblement exaspéré par ce père qui en fait et en dit mille fois trop quitte à passer pour le roi des emmerdeurs. Dans ce rôle, Emir Hadzihafizbegović (que l’on a notamment vu récemment dans Grbavica, touchant portrait filmique mère-fille de la Bosniaque primée de l’Ours d’or en 2006, Jasmila Žbanić), est d’ailleurs très convaincant. Malheureusement, la mise en scène, parfois peu originale, le dessert lorsqu’il est systématiquement montré sous les traits d’un provincial dépassé face à cet univers urbain au vernis capitaliste (cf. séquences d’Ibro désorienté dans les couloirs de l’hôtel, ou dubitatif face au sèche-mains automatique des toilettes, ou encore fasciné par la propreté quasi clinique d’un McDo). Toujours est-il que si l’adolescent avoue ne pas avoir de passion dans la vie et encore moins l’envie de faire ce film, il se laisse néanmoins entraîner par la détermination acharnée de ce paternel surprotecteur adepte du bakchich, à l’insulte facile. Plus qu’une carrière au cinéma, on se doute que le gosse ne veut tout simplement pas décevoir son père. Simpliste ? Non.
Là où le scénario du film évite une dramaturgie caricaturale, c’est qu’il ne décrit pas un simple mal-être adolescent. Âgé de quatorze ans, le personnage d’Armin symbolise toute une génération d’enfants nés en ex-Yougoslavie sur une terre en plein déchirement et baignée d’horreurs. Dans ce contexte, le conflit générationnel filmé ici entre le père et le fils porte probablement l’ombre de ces événements. Mais peut-être pas… L’interprétation reste délibérément ouverte. Lorsque l’équipe du film dans le film leur propose finalement d’être les sujets d’un énième documentaire sur la guerre en Bosnie et plus précisément sur leur « cas » (!) et leurs traumatismes, la volonté de préserver l’intimité de sa famille primerait-elle sur les ambitions d’Ibro ? De retour, père et fils se (re)trouvent, leur individualité affirmée, une nouvelle complicité née. Tous deux peuvent revenir désormais à la tranquilité, certes ordinaire, peut-être troublée par le passé, mais, préservée, de leur province bosniaque où les ciels gris sont bercés par la voix du muezzin.
« Tout est comme avant, rien n’est plus pareil » chantait Armin.