Wallace Avery s’ennuie. Divorcé, s’embourbant dans un travail répétitif et inintéressant, rejeté par son fils, il décide de changer d’identité et de se mettre en quête d’une vie meilleure. Porté par des acteurs plutôt convaincants dans le registre du vagabondage existentiel, ce premier long-métrage bancal, inabouti, réussit pourtant à séduire de temps à autre.
Le point de rupture
Arthur Newman est donc le nouveau patronyme, repris à un mort, que Wallace Avery tente, avec difficulté, de faire sien tandis qu’une jeune femme, Mike (ou Charlotte), elle aussi en pleine crise d’identité, croise sa route. Le rôle du loser, interprété ici par Colin Firth, n’est pas nouveau dans la comédie (sentimentale ou non) américaine produite hors des grands studios : de Judd Apatow à Ma meilleure amie, sa sœur et moi (avec la même Emily Blunt/Charlotte) en passant par Happiness Therapy, les solitaires contemporains ne cessent de compter leurs nombreux avatars cinématographiques. Arthur Newman reprend d’ailleurs le canevas narratif de ses prédécesseurs : Wallace disparaît, rencontre une autre dépressive chronique, se reconstruit progressivement et parachève sa transformation par la réconciliation et l’acceptation. Soit. La faiblesse de ce premier film réside sans doute dans le redéploiement des thèmes prisés par le cinéma intimiste contemporain transformés en motifs topiques des adultes du XXIe siècle (la bipolarité ou maniaco-dépression, l’ennui sexuel et laborieux, la fuite momentanée…). En cela, l’obsession que manifeste le réalisateur, Dante Ariola, pour ses acteurs vedettes (Colin Firth et Emily Blunt), est significative d’un geste artistique incertain, coincé entre une histoire déjà racontée cent fois et des personnages dont la transparence fictionnelle peine parfois à s’affranchir de l’historique de ses interprètes.
La poussée du tragique
Mais Arthur Newman parvient néanmoins à surprendre par endroits. C’est d’abord dans le refus de la complaisance que le film distille sa personnalité, plus ombrageuse qu’il n’y paraît : Wallace/Arthur et Mike/Charlotte n’opèrent pas de profondes mutations ; ils gardent leurs blessures, leurs doutes et chaque instant de félicité, fugace, est une poussée vers un tragique omniprésent, presque lancinant. Quelques scènes, à ce titre, frôlent le poignant, car la solitude est plus qu’une posture ou un enchaînement de cadrages bien sentis : la mort d’un quidam au milieu d’une foule indifférente rappelle que la seule quête de nos paumés est celle de l’autre. De même, la fausse nuit de noces que Wallace et Charlotte jouent, alors qu’ils entrent par effraction dans les appartements d’inconnus, est un témoin de la vanité amoureuse, de la pause existentielle qu’ils s’accordent sans pour autant se libérer de leurs démons. Si Arthur Newman n’efface pas ses tics de construction et de représentations, Ante Dariola démontre, avec une certaine délicatesse, sa propre capacité à la force dramatique instantanée. Il ne s’agit pas de crier au génie, mais de rendre à ces quelques moments de basculement ce qui leur appartient : une forme de liberté, bancale, mal maîtrisée, mais touchante et prometteuse.