Les frères Duplass sont, avec Andrew Bujalski et Joe Swanberg, les chefs de file du mumblecore, tendance du cinéma indépendant américain récemment popularisée par Lena Dunham et sa série Girls, et par la croissante visibilité internationale du festival d’Austin South by Southwest. Restant proche du versant plus populaire de la comédie américaine – Jay réalise en 2010 Cyrus avec John C. Reilly et Jonah Hill, Mark joue dans Greenberg de Noah Baumbach – ce microcosme d’artistes (réalisateurs, producteurs, scénaristes, acteurs : tout cela à la fois) gagne, peu à peu et avec ses moyens, une certaine renommée. En témoigne Ma meilleure amie, sa sœur et moi, petite comédie qui fait briller son casting (Emily Blunt) mais ne dépasse jamais les conventions de la plus banale des comédies romantiques.
Rappeler que Ma meilleure amie, sa sœur et moi s’inscrit, par l’intermédiaire de son acteur principal surtout, dans un certain courant cinématographique a ici du sens dans la mesure où la réalisatrice Lynn Shelton prolonge dans ce film les caractéristiques du genre : naturalisme, improvisation, petit budget. Après le succès Humpday, la réalisatrice fait donc l’habile pari de mélanger une comédie romantique traditionnelle à la rugosité chère au mumblecore. Les dialogues du trio de personnages sont pour l’essentiel improvisés par les acteurs… et il faut dire que parfois cela se voit, ou se sent – comme on le sentait d’ailleurs, avec le même Mark Duplass, dans les bavardages couards de Humpday. Enfermant ses personnages dans l’isolement et la monotonie d’une maison familiale située sur une petite île, Lynn Shelton isole du même coup ses acteurs, leur laissant entre les mains, ou entre les mots, cette si difficile tâche de faire surgir dans un flot de banalités le souffle de la vie.
On a donc un couple d’amis, Iris et Jack. Jack ne s’est pas remis du décès de son frère un an plus tôt. Pour son bien, la jeune femme lui suggère une retraite dans sa baraque familiale. Elle l’y rejoint après un jour, par surprise – pour le trouver en compagnie de sa sœur, en vacances après une rupture. Basée sur les non-dits (manipulation et sentiments tus), Ma meilleure amie, sa sœur et moi est une petite comédie parfois juste, qui montre malheureusement ses limites dans l’amalgame qu’elle pose entre un genre brut et le manque de renouveau qu’offre son propos.
Interrogeant de tout son poids les relations humaines (amour, amitié, liens du sang et paternité), le réseau de péripéties que développe le court scénario de Lynn Shelton repose sur cet ingrédient vital au genre : la parole. Le reste est secondaire dans la mesure où, de façon très classique, ce sont les scènes d’aveu, de confession et de déclaration qui sont les moteurs du propos. À ce titre, l’intrigue est assez efficace, divertissante, voire drôle ou touchante dans ses meilleurs moments.
Là où le moteur coince, c’est quand les acteurs commencent à se fatiguer (comme dans Humpday) de leur propres bavardages : alors éclate la vacuité de tout l’édifice. Pire, l’anecdote n’apparaît en fin de compte que comme une énième petite romance dont l’âme s’est échappée à la faveur de la prouesse : faire plus vrai que nature. S’il est amusant de constater que de nouveau chez la réalisatrice les tensions d’un trio se cristallisent autour du spectre d’une relation sexuelle (motivée uniquement par l’alcool ou l’orgueil), il semble que Lynn Shelton s’évertue à refermer les possibles des pesants thèmes qu’elle annonce, se retranchant dans une convention qui rappelle trop combien ces gens-là se sont écoutés parler.