Avant même sa sortie en salles, Happiness Therapy faisait déjà beaucoup parler de lui, après son plébiscite au festival de Toronto, un Golden Globe pour Jennifer Lawrence et ses huit nominations aux prochains Oscars. Son réalisateur, David O. Russell, est entré dans la cour des grands du Kodak Theater en 2010, avec les deux statuettes de Fighter. Sa thérapie du bonheur pourrait créer la surprise face à Lincoln, Argo, Django Unchained ou Zero Dark Thirty… et ce serait vraiment une surprise. Car après une première partie prometteuse, et malgré ses beaux premiers rôles, le film se laisse vite rattraper par les conventions auxquelles il parvenait à échapper.
Russell fait partie de cette génération de samouraïs (avec Soderbergh, P.T. Anderson, Tarantino, Fincher ou Spike Jonze) qui réveilla le cinéma américain au cours des années 1990 par son indépendance, sa fraîcheur cinéphile, son dynamisme un brin farfelu et un sens de l’épate jugé parfois d’un mauvais œil. Espoir déçu d’un renouveau du cinéma US, Russell n’a pourtant pas passé le cap franchi par certains de ses petits camarades avant Fighter, il y a trois ans. On était donc curieux de découvrir le nouveau film du cinéaste, d’autant plus que, à l’encontre du précédent (projet récupéré in extremis après la défection d’Aronofsky), il en signe le scénario, inspiré du roman Silver Linings Playbook de Matthew Quick.
Pat a pété un plomb en découvrant sa femme dans les bras d’un autre. Après huit mois d’internement psychiatrique, il retourne chez ses parents pour se reconstruire, bien décidé à récupérer son ex. Il rencontre Tiffany, une jolie jeune femme un brin torturée depuis la mort de son mari, qui accepte de l’aider à reconquérir sa belle en échange d’un petit service : devenir son partenaire le temps d’un improbable concours de danse. Ces deux âmes perdues vont, évidemment, nouer des liens inattendus… Sur cette trame convenue de comédie romantique, l’enfant terrible de Hollywood parvient à imposer sa patte en explorant son obsession de la famille dysfonctionnelle, grand thème du ciné indé américain (voir Todd Solondz ou Wes Anderson). Il y a surtout ici pas mal de Little Miss Sunshine : dépression post-séparation, happy-end familial autour d’un concours qui agit comme révélateur des forces individuelles (se dépasser) et communes (ensemble, on est plus fort), mélange de folie et d’optimisme à toute épreuve. Pat est guidé par une devise, « Excelsior » (toujours plus haut), qui rappelle l’optimisme du père de Little Miss Sunshine, indécrottable coach de motivation. Une trajectoire sans cesse brisée par sa bipolarité, dont on ne mesure l’intensité qu’à coups de pétage de plombs imprévus, lesquels donnent à Bradley Cooper un rôle à la mesure de sa vulnérabilité nerveuse. De Niro s’en donne à cœur joie en père névrotique, bookmaker superstitieux bourré de TOC absurdes, Tiffany (Jennifer Lawrence) est une barge nympho repentie et le pote échappé de l’asile (Chris Tucker) ajoute encore au délire ambiant.
Ce grain de folie généralisé fait dérailler la mécanique des conventions, offrant au film ses soubresauts comiques dans d’hilarantes scènes d’hystérie collective qui dévient du face-à-face protocolaire de la rom-com. Il égratigne l’image de la sacro-sainte famille modèle, face à laquelle suffoque littéralement le meilleur pote de Pat, parfait exemple de réussite (épouse, bébé, maison, boulot). Mais ces crises de joyeuse démence sont rapidement réduites à des prétextes qui servent moins à sortir du rang de la norme qu’à s’en écarter pour toujours mieux y revenir. La seconde partie, en mode automatique, ramène tout ce beau monde dans les conventions du clan (il suffira à Tiffany d’adhérer aux marottes du père pour y entrer) et s’achève sur une morale gentillette où on loue les dimanches en famille et la réhabilitation sociale.
Le film se révèle plus intéressant dans les portraits sous-jacents qu’il dresse. Celui d’une certaine génération d’abord, celle de trentenaires en crise identitaire, qu’on a pu appeler la Génération X. Nos deux héros sont largués dès que le modèle familial s’effondre (leur égarement mental émane de la perte de leur conjoint respectif), oscille entre dépression et excitation, se réfugie dans le rock (bande-son parfaitement calibrée entre Led Zep et les White Stripes) et les céréales. Symptomatique, l’absence d’enfants dans ce cinéma de la famille (bébé reste hors champ) ne dit pas autre chose que ceci : ce sont eux, les enfants, de grands enfants paumés qui ont besoin de papa-maman. Face aux géants Spielberg, Tarantino ou Bigelow, qui revisitent la grande Histoire américaine, Russell reste au plus près du local, puise ses émotions dans le microcosme de la vie de quartier, vise le général dans le « cas » très particulier. C’est un autre portrait de l’Amérique qui se dessine ici, celui du suburb blanc où les idylles se nouent au diner, autour duquel gravitent quelques communautés (Tucker la caution black, les Indiens). S’il manque un peu d’audace, si sa mécanique narrative finit par lasser, Happiness Therapy reste un sympathique feel-good movie.