Il suffit de feuilleter les programmes de cinéma actuels pour s’apercevoir que les films palestiniens qui arrivent jusqu’à l’Hexagone sont, en grande majorité, des documentaires. D’où l’intérêt de voir une fiction sur la situation d’un pays, ou plutôt d’un territoire aspirant depuis quelques décennies à devenir un pays. Mais fait rapidement surface l’impossibilité pour Ahmad de former une troupe d’acteurs professionnels, le réalisateur étant lui-même confronté aux réalités des régions qu’il traverse. Filmé et écrit comme un documentaire, Attente est ainsi un témoignage non de l’incapacité d’invention en Palestine, mais de l’extrême difficulté d’imaginer une histoire dans un contexte sans que ce dernier ne reprenne le dessus.
Dès les premières images, c’est donc ce contexte qui surplombe l’action : Ahmad, palestinien, accepte une dernière mission confiée par un ami avant de quitter définitivement son pays. Il s’agit de créer un hypothétique théâtre (symbole de l’État palestinien) car, comme il le dit, « comment peut-on avoir un État sans théâtre ? ». Question d’autant plus délicate que l’État lui-même n’est pas en pleine possession de ses moyens… L’interrogation est nécessaire, bien entendu : la place de l’imaginaire, de la construction dramatique, donc de la liberté de création, est primordiale dans un État en construction et en lutte permanente depuis tant de temps. Le film ne révèle donc pas cette nécessité, mais la prépondérance des autres nécessités, et par là même la difficulté de faire d’un théâtre un objectif plus important que les autres.
Le thème du chantier est partout : physiquement tout d’abord, lorsque Ahmad est à Gaza et rencontre son ami. On voit le chantier du théâtre, presque mort avant que d’être véritablement né, avançant lentement faute de crédits, faute de certitudes sur l’avenir. Quand Ahmad se rend dans les colonies, on retrouve les maisons à moitié construites, les rues aux trottoirs décharnés, les villes grouillantes de vie et de bruit, mais auxquelles manquent l’apparence d’une société et d’une sociabilité établie. Car c’est aussi le chantier humain dont parle Attente : on revoit les masses de Palestiniens subissant quotidiennement l’« humiliation » du passage à la douane, fixant une fois de plus la coupure entre Israéliens et Palestiniens, mais également entre Arabes et Juifs.
La religion n’est cependant pas au centre de la réflexion de Rashid Masharawi : les thèmes de l’appartenance à une terre, de la nationalité et ainsi de l’arrachement à la terre sont prégnants. Le casting commence : de Gaza aux camps de réfugiés syriens, jordaniens et libanais, peu d’acteurs professionnels montrent le bout de leur nez. Ce sont des familles entières qui viennent délivrer un message à leurs proches, espérant que la caméra pourra servir de pont entre les différents camps, les différents pays. Il n’est pas question pour ces figurants, ou très peu (quelques midinettes), de devenir des stars, mais simplement d’utiliser ce média stricto sensu. Dès lors, l’équipe de recrutement se confronte à l’impossibilité de former une troupe dans des endroits où seule la réalité est maîtresse, où la fiction ne peut servir qu’à améliorer cette réalité, dans un sens purement pragmatique et non dramatique.
L’équipe filmée est composée du réalisateur, double de Rashid Masharawi, interprété avec justesse et sobriété par Mahmoud al-Massad, d’un cameraman et d’une journaliste. Mise en abyme suprême, ils filment l’incapacité de filmer autre chose que ce qui se passe. Si la première partie de présentation des personnages et de leur mission est tout en mouvements, on assiste progressivement à une « documentarisation » du sujet : l’image se pose, les plans fixes se succèdent, parfois répétitifs. Le ton des discussions entre chaque personnage est aussi révélateur : sans débat politique assumé, les dialogues se déroulent sous forme de réflexions sur la situation actuelle du peuple palestinien sans construction narrative. Chaque saynète prend des allures de conte moral démonstratif, sans métaphore aucune : le film montre un état de fait, ne racontant pas de petite histoire, trop emporté par la grande. Toutes les formes audiovisuelles empruntent donc au genre documentaire.
Mises à part quelques tentatives de gags dont le comique est essentiellement dû à la personnalité des figurants qui se sont prêtés un instant au jeu, Attente ne peut tenir ses promesses de départ. Le film oublie certaines problématiques comme l’origine des subventions (qui donne ces subventions ? pourquoi sont-elles coupées au milieu des castings?), comme la place ou l’absence de la culture dans un État, disons-le, en guerre… Mais c’est surtout dans ce qu’il révèle qu’un tel film est intéressant : la demande palestinienne (et étrangère surtout) est documentaire, et le drame ne peut plus être divertissement fictionnel quand sa place est, au quotidien, si réelle.