On avait laissé Sylvain Chomet sur une œuvre de dessins animés plutôt agile, certes un peu replète, mais chaleureuse et poétique (Les Triplettes de Belleville). Avec Attila Marcel, le cinéaste passe aux prises de vues directes, et comme c’est souvent le cas – citons cette année le cas Ari Folman –, son rapport au réel s’éternise volontiers du côté des tics de l’animation. Il accuse tous les traits, force les gestes, étire les expressions, et emploie même une sorte de répétitivité des mouvements qui confine à la rotoscopie : une façon de robotiser les déplacements, de chorégraphier tous les corps, qui s’exprime surtout chez les deux sœurs Bernadette Lafont et Hélène Vincent, en couple de vieilles filles façon rombières de Rochefort.
Tante Annie et tante Anna s’occupent donc de leur neveu Paul (Guillaume Gouix, impeccable), pianiste lunaire et muet, grand amateur de chouquettes, et orphelin. Dans le secret de son silence, une seule chose le préoccupe : retrouver les fragments perdus de sa mémoire. Une personne peut justement l’aider : madame Proust, voisine timbrée pourvoyeuse de voyages dans le passé par le biais d’infusions psychotropes et de madeleines (vous l’avez ?). Quand Paul goûte à l’un de ces philtres, il s’embarque aussitôt pour les paradis perdus de son enfance ; pourtant les images qui lui sont alors infligées nous gênent plus qu’elles nous bercent : leur euphorie solaire dégouline pâteusement, trempe grassement les corps, dans une résurgence malade de Jacques Demy qui n’en aurait gardé que les tons les plus brûlés, une rougeur cramoisie et irrespirable. La morbidité (mais une morbidité dont Chomet n’est certes pas tout à fait responsable, le film ayant été achevé avant le décès de l’actrice) touche même ces séquences qui voudraient ressusciter Bernadette Lafont en synchronisant sa voix rocailleuse et féline sur les lèvres d’une jeune actrice lui ressemblant plus ou moins.
Un film de brocante ?
Comme mis à nu par les prises de vues live, ou trop violemment exposé à la lumière, le goût de Sylvain Chomet pour le film de bibelots et la fanfaronnade nostalgique rayonne ici beaucoup moins que dans la tiédeur cotonneuse de l’animation : les effluves rances du cinéma de Jean-Pierre Jeunet affluent régulièrement, et pas seulement pour le remplissage d’accessoires ou l’évasion vieille France, mais aussi dans une certaine déformation des corps, grossis (on remarque d’ailleurs le Jean-Claude Dreyfus de Delicatessen), tordus, courbés dans les diagonales du cadre. À sa décharge, Chomet préfère encore le récit au vide-grenier, mais son film n’en est pas moins boursouflé : enlisé dans une imagerie parigote en fin de course, dont la médiocrité cloue au sol la tentation proustienne du scénario.
Guillaume Gouix a beau, autant qu’il peut, rattraper le résultat par toute la vibrante minutie de son interprétation – plus proche de Buster Keaton que de Mr Bean, ce qui n’était pas gagné dans un environnement aussi clownesque –, on n’a envie que d’une chose : refermer les rideaux sur le cinéma de Sylvain Chomet, le rendre à la jolie pénombre de son animation. Ici, il se pétrifie à la lumière du jour dans une dureté ferrailleuse, perd toute son ondulation, toute sa liquidité. Ce n’est jamais qu’une faute de goût vite oubliée, alors oublions : et espérons que le cinéaste aura plutôt sous le coude d’autres illusionnistes.