Ari Folman prend le contre-pied absolu de Valse avec Bachir en proposant un film hybride, mi-prise de vue réelle, mi-animation, mais aussi théorisant son hésitation entre documentaire et science-fiction. D’une actrice contrainte de signer un contrat qui a tout du pacte avec le diable à un univers cartoonesque un brin hystérique, on ne comprend pas toujours où veut nous mener le cinéaste avec ce voyage dans le temps, l’espace et les genres.
Robin Wright (elle-même), ancienne jeune première prometteuse ayant dépassé la fatidique quarantaine, rencontre son agent (Harvey Keitel), qui lui propose de signer le dernier contrat de sa vie. Installée en lisière d’un aéroport dans un hangar transformé en maison, elle mène une existence en marge de ses contemporains, avec ses deux enfants, donc l’un souffre d’une étrange maladie. La froideur de l’image et le vide de la composition des plans nous projettent dans un monde déshumanisé, futuriste tendance The Truman Show (Peter Weir) ou Simone (Andrew Niccol). De fait, c’est bien la question de la représentation qui est au cœur du dispositif d’Ari Folman qui construit son film en deux parties bien distinctes.
En prise de vue réelle, la première moitié du film porte essentiellement sur l’actrice et toutes les questions que se pose un réalisateur face à ce type de créature : comment la filmer, l’éclairer, la faire jouer. Le cinéaste semble parler à travers la voix de l’un de ses personnages qui affirme : « Les gens appellent cela science-fiction, moi documentaire. » La toile de fond fictionnelle semble alors être un prétexte pour scruter le visage d’une comédienne, dont les caractéristiques de personnage résonnent avec ce que le grand public sait de la vie de la vraie Robin Wright. Espoir dans le film d’aventures Princess Bride, starlette dans Santa Barbara, puis à la une des magazines people pour sa relation tumultueuse avec Sean Penn, Robin Wright l’actrice paraît on ne peut plus proche de son personnage de femme ayant fait les mauvais choix dans une carrière en demi-teinte.
Le dernier contrat proposé par le producteur de la puissante société Miramount consiste à scanner son corps, afin de faire tourner en ses lieu et place son avatar radiographié. Le vieillissement de l’organisme, la personnalité de l’actrice qui influe sur ses personnages, la vie qui empêche de faire les bons choix de rôles : voilà les problèmes auxquels le directeur du studio ne voudrait plus avoir à être confronté.
Trois décors, seulement, peuplent la première moitié du film : la maison du terrain vague près de l’aéroport, le studio et le cabinet du médecin qui soigne Aaron, le fils atteint d’un mal qui altère progressivement ses sens. Tous trois sont filmés avec une très faible netteté qui met les corps en exergue. Le studio et le cabinet de médecine se répondent comme deux lieux similaires qui tendent à faire dialoguer science et enregistrement du réel. Le docteur scrute les sens de l’enfant comme le technicien du studio traque les émotions de la star déchue. Évolution des images comme facteur d’évolution de la perception, voilà les termes de l’équation formulée par Ari Folman.
Mais l’histoire ne fait là que commencer. L’actrice s’engage à ne plus apparaître publiquement pendant vingt ans et apparaît, dans la seconde partie du film, sous la forme d’un avatar animé, invitée d’honneur du congrès organisé par le studio devenu Miramount Nagasaki. Dans ce monde dessiné psychédélique, le cinéma devient une expérience totale convoquée par le spectateur du futur par simple ingestion d’une pilule. Comme en témoigne le chignon blond enroulé que porte l’avatar dessiné de Robin Wright, Vertigo semble être la matrice du film d’Ari Folman. Comme le film d’Hitchcock, Le Congrès est partagé, en son milieu, par une forme de mort de l’héroïne. Comme lui, il cherche à évoquer la posture du spectateur de cinéma et son désir face aux créatures de l’écran.
L’enchevêtrement des lieux, des situations, des personnages devient alors des plus confuses. Organisé dans une tour en plein milieu du désert, le congrès est peuplé de personnages provenant tout droit de l’inspiration des pionniers de l’animation tels que les frères Fleischer. Puis une attaque chimique métamorphose à nouveau le décor en tout autre chose. Avant que la Robin Wright de cartoon ne découvre un monde enchanteur peuplé de plantes grimpantes qui se transforment à vue. Le film quitte son sujet premier, le degré de réalité des corps de cinéma, pour y ajouter une réflexion confuse sur la dématérialisation des images. Dans ce maelström d’idées convenues sur le monde de demain, où l’on croise pêle-mêle des Google Glasses, un ascenseur ultra-rapide, une capsule qui permet de basculer du monde réel à sa doublure imaginaire, la plus impardonnable des fautes de goût est de proposer une reprise sirupeuse et languissante du « Forever Young » de Bob Dylan. Elle est peut-être, aussi, le meilleur témoin de l’esprit mièvre et simpliste dans lequel bascule irrémédiablement le film.