Cinéaste australien entré dans le giron hollywoodien en 1989 après le succès du thriller maritime Calme blanc — en même temps que sa compatriote Nicole Kidman — Phillip Noyce s’est établi aux États-Unis comme un spécialiste des films à suspense musclés et rarement enclins à se poser des questions (Danger immédiat, Le Saint, Sliver…). 2002, cependant, a été une année notable pour ce réalisateur qui s’est subitement intéressé à des sujets plus sérieux que son registre habituel, mettant en scène coup sur coup Le Chemin de la liberté (évocation de la déportation d’enfants aborigènes par les colons d’Australie dans les années 1930) et Un Américain bien tranquille (nouvelle et classieuse adaptation du roman de Graham Greene). En un sens, cette transition faisait de lui un candidat idéal — selon des critères de producteurs — pour porter à l’écran l’édifiante histoire vraie de Patrick Chamusso, victime innocente de l’apartheid qui finit par embrasser la lutte armée. À l’écriture : Shawn Slovo, fille du célèbre militant de l’ANC Joe Slovo et déjà scénariste d’Un monde à part (Chris Menges, 1988) sur le thème de l’apartheid.
« Bouée de sauvetage »
Le cinéma hollywoodien (ou assimilé : ici les Anglais de la société Working Title, associés à Sydney Pollack et Anthony Minghella) s’intéresse décidément beaucoup à l’Afrique et à ses remous politiques, ces temps derniers (Blood Diamond, Le Dernier Roi d’Écosse). Et les résultats ne sont pas franchement probants, la pertinence des propos se voyant sacrifiée au profit de procédés de divertissement de masse et de leçons de morale bon marché. Au nom de la liberté serait-il une nouvelle incursion d’un cinéma anglo-saxon normalisateur et bien-pensant dans la complainte douloureuse du continent africain ? Sans doute, même si cette fois on nous épargne le personnage du « bon Blanc » en conscience des pays développés. L’intrigue est, comme prévu, sous-tendue par quelques ficelles scénaristiques tristement familières, comme celle qui fait tomber le héros dans le piège du système parce qu’il a commis un adultère. Bien sûr, la fin nous rappellera à bon escient que tout cela est une histoire vraie… Mais comparé à d’autres grosses productions récentes consacrées à l’Afrique, le film contient, d’une certaine façon, sa petite bouée de sauvetage : son respect scrupuleux des conventions du film de course-poursuite, ne s’embarrassant pas d’une hauteur de vue morale, sociale ou politique dont le réalisateur se sait incapable.
Blood Diamond prétend dans le même mouvement offrir de l’action pétaradante à gros effets et marteler un message humanitaire agrémenté d’un portrait de cynique à deux francs. Le Dernier Roi d’Écosse court après un instantané implacable de la dictature, mais finit par sombrer dans la complaisance de sa recherche de réalisme. Si Au nom de la la liberté s’avère moins odieusement opportuniste et hypocrite que ses prédécesseurs (malgré son titre original, Catch a Fire, complaisamment emprunté à Bob Marley), c’est parce qu’il a la sagesse de se retrancher, la plupart du temps, derrière une pure mécanique de film à suspense, qui aurait pu finalement se situer dans tout autre contexte, quitte à être un remake du Fugitif. Le film n’a pas grand-chose à dire, et il l’assume, reconnaissons-lui cela. Non pas que Noyce soit une lumière du film de genre : son efficacité primaire tire certes quelques bonnes scènes (l’assaut sur le QG de l’ANC), mais ne se départit pas de quelques scories (une scène d’entraînement tournée en mode gratuitement pseudo-documentaire). Ses tentatives d’instaurer un trouble psychologique dans l’affrontement entre barbouze et rebelle tombent généralement à l’eau, souvent sabotées par le jeu m’as-tu-vu d’un Tim Robbins surjouant la douceur menaçante. Mais on peut le créditer d’une certaine honnêteté de faiseur : contrairement à Edward Zwick ou à Kevin Macdonald, il ne s’érige pas en voix de la conscience de l’hémisphère nord.
« Tardive déclaration d’intentions »
Au nom de la liberté pourrait ainsi n’apparaître que comme un divertissement pas plus malhonnête qu’un autre, s’il ne commettait dans ses dernières minutes un faux-pas regrettable. Comme si les créateurs du film se rappelaient soudain qu’ils n’étaient pas là pour rigoler, on nous expédie à la sauvette une conclusion moraliste sur la nécessité de la réconciliation entre les ennemis d’hier. Un prêche d’autant plus incongru qu’il s’avère totalement déconnecté du reste du métrage en forme de divertissement calibré avec arrière-plan historique. Par cette tardive déclaration d’intentions dont il s’était consciencieusement délesté jusqu’alors, le film, qui aurait pu se clore tranquillement et sans faire de bruit, n’offre in fine que l’agacement inspiré par les occasions manquées et les promesses non tenues.