Un énorme diamant rose, caché au cœur d’une Afrique en proie à la violence, attire les convoitises de personnages aux desseins variés : la quête de la fortune pour les uns, du scoop ou de l’unité familiale pour les autres. Sous couvert de dénoncer les scandales du trafic de pierres précieuses et des enfants-soldats, et de pointer du doigt les excès du libéralisme et la réalité du post-colonialisme, un réalisateur bulldozer nous inflige, entre action pétaradante et aventure naïvement initiatique, un produit parfaitement emballé pour les Oscars. Mais tout ce qui brille n’est pas de l’or.
This is Africa. Une simple phrase qui revient comme un leitmotiv tout au long du film d’Edward Zwick (Glory, Légendes d’automne), résumant l’instabilité politique permanente de toute une partie de ce continent, le chaos des guerres, la condition terrifiante des enfants-soldats, et semblant vouloir justifier, dans la bouche de ceux qui la prononcent, le sanglant trafic de diamants par un Occident avide et corrompu. Mais une phrase qui n’a rien de totalement pessimiste, puisqu’elle évoque aussi les paysages sublimes de ce monde originel, ses habitants liés à la terre, pétris de valeurs fortes ; le sacrifice, la rédemption, l’amour bien sûr. Ça peut paraître beaucoup pour ces trois petits mots. Ça l’est également pour un film.
Blood Diamond a bien des mérites, à commencer par traiter de sujets – en gros, l’exploitation d’un continent par un autre, du faible par le fort, du Noir par le Blanc – relativement rares au cinéma, hollywoodien de surcroît. Pas de doute, le spectateur est mis face à une réalité dont il est loin de soupçonner les détails les plus sordides. D’autant que, pendant toute une première partie, le propos paraît parfaitement documenté et surtout, nuancé : du premier au dernier maillon de la chaîne, du mineur forcé au technocrate le plus haut placé, tous semblent vouloir apporter leur point de vue sur la situation. Un casting rassurant (DiCaprio, Jennifer Connelly et même l’excellent Michael Sheen, vu récemment dans The Queen de Stephen Frears), une image au grain rugueux, très réaliste (les reconstitutions des camps de réfugiés ou des carnages en plein cœur des villes sont magistrales), ainsi qu’une mise en scène brute, nerveuse, achèvent de capter l’attention.
Mais curieusement, c’est une fois la situation bien en place que le film va prendre la tournure qu’on pouvait craindre. Comme s’il était dépassé par un sujet dont il ne maîtrise pas toute la densité, dont il ne mesure pas toute la difficulté, Blood Diamond, d’un thriller politique intéressant, vire assez vite au pur film d’action – et raté, encore. Il abandonne alors toute velléité de mise en balance pour installer un manichéisme tirant fort sur le ridicule. La multitude des points de vue s’efface au profit d’une lutte à mort entre les gentils et le méchant – ce dernier, qui n’était sans doute pas encore assez terrible, devient borgne, horreur ! Peu à peu, les grossières incohérences du scénario, la cacophonie croissante de la réalisation finissent par lasser, voire blaser. Comment rendre audible son propos quand tout n’est plus que rafales d’armes automatiques, explosions, hurlements inhumains ? Et puis, lorsque cette véritable hystérie se calme un peu, ce n’est que pour laisser place de manière bien maladroite – parce qu’attendue, redoutée – à une épaisse couche de bons sentiments. L’improbable histoire d’amour entre un couple de héros qu’on entrevoit déjà en tenue de soirée pour les Oscars (Blood Diamond est nommé plusieurs fois), et la quête du père pour sauver son jeune fils, armé par les rebelles, tiennent d’À la poursuite du diamant vert ou du Monde de Nemo version gore.
C’est peut-être la limite du cinéma à portée politique que nous fait cruellement ressentir le (trop) long-métrage d’Edward Zwick. Parce qu’on imagine très bien les producteurs pimenter un projet sans doute peu séduisant aux yeux du grand public, en faisant réécrire tel passage trop verbeux, en privilégiant la démonstration de force à l’analyse, et en mettant à l’affiche un couple glamour aux beaux yeux bleus, on se dit qu’un documentaire – même exagérément à charge comme Le Cauchemar de Darwin auquel on pense forcément – aurait mieux valu. Quel malaise de se rendre compte que le scandale qu’on cherche à dénoncer ne sert en réalité qu’à mettre des stars en valeur, qu’à faire tourner l’industrie du cinéma ! Quel étrange sentiment de s’être fait berner ! Et l’hypocrisie de la méthode nous poursuit jusqu’à ce ridicule message final, qui nous encourage à toujours vérifier la provenance des diamants qu’on achète. Promis, la prochaine fois qu’on ira faire ses emplettes place Vendôme, on y pensera.