Oscillant entre clarté euphorique et dépression souterraine, Back Soon est une comédie islandaise qui s’apparente à l’image archétypale de son pays d’accueil – heurté, rocailleux, brut – et de ses autochtones – un peu bourrus et alcoolos mais conviviaux et à l’ironie bien trempée. Si le résultat est plutôt attachant, le film s’apparente cependant davantage aux mornes vallées de la Meuse qu’aux cascades majestueuses de Selfoss.
Sólveig Anspach est islandaise mais a fait ses armes à la FEMIS, ce qui explique son attachement à la France et à sa cinématographie : c’est elle qui réalise en 1998 le fort et beau Haut les cœurs ! avec Karin Viard et Laurent Lucas. Poursuivant dans une même voie à la fois intime et engagée, Anspach signe Stormy Weather en 2003, un drame psychologique entre la Belgique et l’île Vestmannaeyjar. Thèmes et approches semblables – la maladie et le système aliénant de la doxa hospitalière – mais prémices de ce qui fera la genèse de Back Soon : une velléité de retour aux terres natales islandaises. Car Anspach justifie son dernier film par une envie irrépressible de parler des siens et de son pays, de particulariser à l’extrême en oubliant tous les préceptes commerciaux que ses producteurs lui rappellent : tourner un film en islandais avec des acteurs inconnus, c’est inévitablement l’assurance d’une maigre distribution. Elle n’en a cure et décide d’inviter sur le tournage tous ses amis et quelques figures emblématiques de la scène alternative de Reykjavik, parmi lesquels les musiciens du groupe Minus. Un geste gratuit à l’image du caractère spontané et généreux du film.
Nous ayant habitués aux drames jouant la carte du pathos subtil, Anspach étonne avec son nouveau synopsis basé sur une idée saugrenue : une oie avale le portable d’une revendeuse d’herbe limite breakdown. Certes. Quand on ajoute que cette femme, Anna Hallgrimsdóttir, est une poétesse féministe et pour le moins rock’n’roll, on se dit que l’on va vite assister à un défilé de toutes les incarnations branchées de la fausse subversion. Pas totalement faux, tant on a souvent réticence à voir s’étaler la plupart des clichés de la défonce adolescente. La scène pendant laquelle un jeune Français en pèlerinage, fan absolu de la poétesse stone, digère avec une certaine aigreur des champignons en est l’une des gênantes boursouflures : l’effet de cadre qui se déforme et ondule sur un filtre vert est pour le moins naïf et agaçant. Mais au-delà de ces maladresses, il s’exhale de ce film une douce sensation de folie sans garde-fou, une incohérence assumée et quelque part rafraîchissante : pensons au montage abrupt et elliptique qui simule des collures approximatives de la pellicule.
Revenons à nos oies. Une charmante représentante de cette espèce a avalé un portable, mais pas n’importe lequel. Celui d’Anna, et elle n’est pas contente : son appendice à antenne détient tous les numéros de ses nombreux clients (les trois quarts de Reykjavik, paraît-il) et elle s’apprêtait à le revendre très cher à un repreneur intéressé par ce petit commerce de proximité. Un prétexte pour crapahuter à travers toute la campagne escarpée des alentours de la baie de l’est islandais : à la clef, de très jolies images (mais enlaidir un paysage islandais est aussi aisé que donner de l’expression au visage de Brendan Fraser) et une collection de personnages azimutés. Si Didda Jónsdóttir qui incarne Anna envahit tout l’écran de sa présence mi-classe mi-crasse, les électrons qui gravitent autour d’elles ont bien du mal à exister. La faiblesse du film est alors criante : les compagnons d’Anna ne sont que de simples étiquettes, des codes-barres inertes et factices car tirés tout droit d’un faiblard manuel de scénarios. Difficile de faire coexister une communauté aussi disparate composée d’une jolie Britannique en voyage et folle de Dieu, un fermier suicidaire, un grand-père mélomane accro à la beuh ou un slammeur blondinet. Tout cela vire assez rapidement à un catalogue plutôt vain et lassant. Finalement, les tentatives de débrayer la narration par des envolées fantaisistes et enthousiastes ne suffisent pas à nous empêcher de souhaiter qu’Anna ne revienne pas aussi vite qu’indiqué…