Réalisatrice islandaise diplômée de la première promotion réalisation de la FEMIS, Sólveig Anspach vit désormais à Montreuil et ne cesse de travailler, entre documentaires et fictions, à la croisée de ces deux espaces. Après Back Soon, tourné dans son pays d’origine avec des Islandais, elle opère la fusion de ses deux mondes : voici Queen of Montreuil, cohabitation entre une jeune veuve montreuilloise et deux Islandais de retour de Jamaïque, coincés en France. Avec une subtilité et un humour délicieux, le film dessine la trajectoire de sa protagoniste vers un deuil enfin accompli. En même temps, il conquiert l’espace qu’habitent les personnages – aussi bien le Montreuil réel qu’un monde de fantaisie – et, surtout, gagne le cœur du spectateur.
On prend les mêmes, et on continue : quatre ans après la comédie islandaise Back Soon, Sólveig Anspach retrouve l’actrice Didda Jónsdóttir, qui pourrait être toujours le dealer déluré de ce précédent long-métrage. De retour de Jamaïque avec son fils, elle est coincée en France à cause de la crise qui touche son pays et de la faillite des compagnies aériennes islandaises. Heureusement, le duo tombe à la douane sur Agathe, jeune veuve qui rapporte les cendres de son mari d’un pays indéterminé. C’est ainsi que s’ouvre la fiction : par la confrontation de ces deux mondes, dans l’espace transitoire de l’aéroport. Agathe héberge donc Anna et Úlfur dans son charmant appartement montreuillois, qui va devenir le théâtre de l’évolution de cette protagoniste. De jeune veuve en effet elle deviendra « queen of Montreuil » : quand elle aura fait son deuil.
Si le film n’a rien de singulier dans sa structure narrative, c’est par son propos, sa fantaisie, et la rencontre des mondes qu’il accomplit qu’il séduit. Alors que Back Soon était une comédie un peu creuse, qui rendait toutefois compte d’une agréable spontanéité, Queen of Montreuil fait le choix subtil de se poser en plein dans l’écart entre divers éléments antagonistes, jouant avec brio sur le motif du décalage. Ce sont ces deux mondes, jamais clos : symbolisés par Anna d’un côté, fumeuse d’herbe hédoniste et délurée ; Agathe de l’autre, en deuil, mélancolique, désœuvrée. Ce sont aussi des choix esthétiques : le film oscille toujours entre une spontanéité absurde et délectable, la fantaisie de la fable (notamment dans l’histoire secondaire entre Anna et Samir, qui se rencontrent en haut d’une grue), et la mélancolie du manque, du doute. La principale qualité et la généreuse vigueur du film sont avant tout dans cette variété de tons et le décalage constant qu’elle impose. Sans crier gare, le film passe d’un bond du sérieux, de la nostalgie la plus douloureuse au comique le plus amusant (voir l’excellente scène avec Sophie Quinton : déchirante et incongrue tout à la fois). La ligne trop traditionnelle du scénario est donc sublimée par l’audace thématique (éloge de la simplicité, du partage, de « l’or du pauvre » – le cannabis), par l’originalité symbolique (le phoque qui matérialise l’absence du défunt et le deuil à venir), par le mordant des dialogues tirant toujours vers l’absurde.
Plus que Back Soon, Queen of Montreuil parvient à mettre en scène, à donner corps à l’affection d’Anspach pour l’Islande, pour Montreuil, pour ce groupe d’acteurs professionnels ou non – qui ressemble fort à un groupe d’amis. Et l’enthousiasme est communicatif, communiqué. Le regard de la réalisatrice fait preuve de qualités rares : énergie, humour et subtilité – le tout condensé dans une admirable spontanéité, qui est le fait du personnage d’Anna surtout – si libre, si bien en haut de sa grue à contempler Montreuil un joint à la main.
Enfin, et ce n’est pas un détail, une des choses les plus touchantes, les plus habiles et réussies de ce long-métrage est l’attachement de la réalisatrice à Montreuil et l’investissement de cet espace (souvent réduit à un stéréotype : la banlieue dans le cinéma français), sublimé lui aussi. L’authenticité de l’affection mise en scène, parce qu’elle est transposée dans la fiction par l’intermédiaire du regard d’une étrangère (l’Islandaise Anna dans sa Tour Eiffel de substitution), consacre une fois de plus cette friction des mondes si délectable, communicative, que Sólveig Anpach elle aussi semble devenir reine de son monde de cinéma, le temps de ce feel-good movie. Si le but d’Anspach était de partager humour et énergie avec son spectateur – un but si simple et pourtant périlleux – c’est gagné.