En 2010, The Cat, the Reverend and the Slave dessinait le portrait d’hommes et femmes passant une grande partie de leur temps dans l’univers virtuel en réseau Second Life. Avec Bonheur Académie, Alain Della Negra et Kaori Kinoshita s’intéressent de nouveau à des individus se réunissant dans une sorte de monde parallèle qui obéit à des règles particulières : celui des Raëliens, adeptes d’un mouvement hédoniste à tendance sectaire qui a fait florès dans le monde entier et prépare l’arrivée d’une ambassade extraterrestre. Peut-on dire que le film porte sur le mouvement pour autant ? C’est bien là toute la question qui se pose.
Un carton initial nous informe que le film a été « tourné en Croatie durant l’Université du bonheur du Mouvement raëlien » et en « suit le rythme ». Cette formulation quelque peu ambiguë résume assez bien l’un des problèmes de Bonheur Académie : le film est issu d’un tournage contraint par une réalité particulière (les comédiens ont été parachutés au sein des membres du mouvement et se sont invités dans les différentes activités prévues), et pourtant, cette réalité ne semble pas être le véritable sujet du film. Pour pouvoir filmer l’Université du bonheur avec plus de facilité, les réalisateurs s’y sont présentés avec un scénario de fiction et l’Université du bonheur fait finalement figure de toile de fond. Méditation, danse autour du feu, soirée travestie et moments de baignade dans la piscine sont autant d’occasions pour les personnages de se rencontrer. Le regard porté sur le stage en lui-même est distancié : les réalisateurs relèvent des phrases absurdes, risibles par le contraste qu’elles font entendre entre le spirituel et le prosaïque, ou bien des clichés de l’hédonisme (« Notre corps vibre avec la musique »). Par ailleurs, la part documentaire de l’entreprise n’est pas explicitée : la vision du film ne permet pas de savoir que la plupart des personnes qui apparaissent à l’écran ne sont pas des comédiens mais des membres réels du mouvement raëlien. Le film porte l’empreinte d’une réalité difficilement accessible, mais n’en tire aucun bénéfice puisque le spectateur n’en est pas informé.
Un mélange des genres mal dosé
Or, l’histoire que les réalisateurs ont su mettre en scène durant leurs sept petits jours de tournage est simpliste : Lily, qui manque manifestement d’assurance, tombe sous le charme d’Arnaud et se heurte à la concurrence de Dominique, beaucoup plus décontractée. L’interprétation de Laure Calamy insuffle à Lily une fébrilité infinie, mais les réalisateurs ne trouvent jamais la juste distance face à ce personnage très vulnérable. Le second degré n’arrange rien : dès le départ, on semble vouloir nous amuser au détriment des personnages. Au sein même de la part fictionnelle du film réside donc une nouvelle contradiction : les réalisateurs eux-mêmes semblent ne pas croire à leurs personnages et vouloir pourtant que le spectateur se sente concerné par leur sort. Loin de se présenter comme une simple farce, avec ses personnages caricaturaux et ses situations risibles, le film multiplie bientôt les scènes dramatiques. L’effet est déconcertant, pour ne pas dire désespérant.
À défaut d’une réelle documentation des pratiques du mouvement raëlien ou d’une comédie romantique digne de ce nom, on aurait pu espérer que le film se mue en une sorte d’essai sur les névroses des sociétés occidentales. Des scènes en formes d’échappées – chorégraphies vues du ciel, déclarations d’amour ritualisées entre stagiaires – proposent en effet de rompre avec la fiction pour entrer dans un autre régime de représentation, qui tient davantage de la performance. Mais dépourvues de base solide, ces séquences restent sans écho et Bonheur Académie échoue à développer une vision originale de ces problématiques.
Le projet de construire un film de fiction à partir d’une réalité préexistante était ambitieux, et l’on peut saluer la volonté d’expérimentation des cinéastes. Reste que l’objet résultant de ce processus n’est pas convaincant. Plutôt que de porter sur notre rapport au réel et à l’Autre, les questions qui nous taraudent concernent le sens de l’entreprise : pourquoi donc a-t-on tenu à nous raconter cette histoire ?