Michel Delgado s’était spécialisé jusqu’à présent dans l’écriture de scénarios de comédies très… populaires : La Vengeance d’une blonde (Jeannot Szwarc, 1994), Les Deux Papas et la Maman (Jean-Marc Longval, 1996), L’Enquête corse (Alain Berberian, 2004), L’Auberge rouge (Gérard Krawczyk, 2007)… Avec Bouquet final, scénario nourri de recherches très précises sur le terrain, Delgado s’engage dans un projet hasardeux : nous faire rire du commerce de la mort. Le scénariste s’investit cette fois-ci davantage en passant pour la première fois à la réalisation. Le résultat est intéressant.
Gabriel (Marc-André Grondin) a été élevé par des parents hippies qui ont toujours stimulé sa fibre artistique et cultivé leur différence. Mais ce jeune musicien est las de la vie de bohème. Les cours d’éveil musical qu’il dispense aux bambins du quartier ne lui permettent ni de se nourrir convenablement, ni de stimuler sa créativité. Gabriel, figure finalement assez générationnelle, entre donc en résistance contre le modèle parental. Titulaire d’un diplôme de commerce, il décide de sortir de la marginalité pour trouver un « vrai » travail et parvient à obtenir un poste de directeur commercial, pour une entreprise de pompes funèbres. Afin d’accéder à ce poste au salaire confortable, il doit d’abord affronter la réalité du terrain. Aux côtés de Gervais Bron (Didier Bourdon), responsable jovial et pragmatique d’une petite agence, Gabriel découvre la complexité d’un des plus vieux métiers du monde. Au-delà de la surprise permanente que constitue ce stage pratique, il doit gérer un problème de taille : cacher son activité professionnelle à ses parents (Gérard Depardieu et Marthe Keller) et à sa nouvelle petite amie, Claire (Bérénice Béjo).
En ouvrant les portes d’un monde effrayant, intrigant, mais, avouons-le, assez fascinant, Michel Delgado satisfait notre curiosité honteuse. L’attention portée à la représentation d’un secteur d’activités méconnu et la multiplication de situations comiques, inspirées d’anecdotes rapportées par des professionnels, maintiennent l’intérêt constant du spectateur. On ne sait jamais si l’on doit rire ou frémir du parcours initiatique du jeune Gabriel, dont le regard naïf nous oblige à regarder la mort en face. Par l’intermédiaire pratique de ce personnage candide, Delgado ne nous épargne aucun détail du métier. Outre des aspects techniques rebutants (reconstruction faciale, décongélation, maquillage effectués par le thanathopracteur), Gabriel découvre à ses dépens la difficulté de faire cohabiter business et éthique, face à une clientèle fragilisée par le deuil et facilement influençable. Mais le film prend soin de révéler aussi l’aspect profondément humain du commerce de la mort : l’intrusion dans l’intimité de parfaits inconnus place parfois le croque-mort dans une position gênante de témoin, voire même de confident ou de psychologue. Au contact de familles meurtries, les employés des pompes funèbres sont contraints d’acquérir un savoir-être empirique, au-delà du simple savoir-faire.
Le choix du registre comique pourrait apparaître comme un « truc » un peu facile pour désamorcer notre peur viscérale de la mort, devenant peu à peu un piège enfermant le film dans une caricature permanente. Dans Bouquet final, certaines situations semblent ainsi à première vue risquées. Quand Gabriel se trouve confronté pour la première fois à la préparation et à l’habillage d’un défunt, il s’acharne sur le corps rigide sans parvenir à lui fermer les yeux et la bouche. Cet étrange jeu de marionnettiste pourrait sembler de mauvais goût. Pourtant la fébrilité et la détresse exprimée par Marc-André Grondin permettent de désamorcer l’horreur de la situation pour créer une scène éminemment comique, assurant la connivence du spectateur avec ce personnage maladroit. L’alternance de scènes burlesques (lorsque Gabriel découvre la technicité du métier) et de scènes plus intimistes (où les personnalités se révèlent) permet d ‘éviter aussi bien la gaudriole que le macabre. L’interprétation des seconds rôles contribue en grande partie à cet équilibre entre rire et émotion. La composition de Bérénice Béjo, convaincante en une jeune mère célibataire, et celle de Gérard Depardieu, drôle et modeste aux côtés de la sensible Marthe Keller, apportent un contrepoint utile aux situations abracabrantes rencontrées par l’apprenti croquemort.
Le Québécois Marc-André Grondin, découvert par le public français grâce au magnifique C.R.A.Z.Y. (Jean-Marc Vallée, 2006), se trouve ici confronté à deux enjeux problématiques en tant qu’acteur : être crédible dans un emploi comique, aux antipodes de ses rôles précédents, et dans la peau d’un personnage français, nécessitant de masquer son accent. Cette double préoccupation participe par moments à une certaine fausseté dans le jeu de l’acteur, trop appliqué dans sa volonté de faire rire et trop concentré sur sa diction. On pardonnera cependant Marc-André Grondin tant on veut croire en ses qualités d’acteur, bien qu’on lui souhaite de considérer cette incursion dans la comédie comme une expérience certes formatrice, mais néanmoins ponctuelle. Malgré quelques maladresses dans l’interprétation et des dialogues de qualité irrégulière (ce qui est drôle sur le papier ne l’est plus forcément à l’écran), il faut reconnaître l’alchimie réelle du duo Grondin-Bourdon, énergique et complice. Didier Bourdon campe un Gervais Bron potache et ringard, dont le ridicule est heureusement contrebalancé par une dimension plus fragile et sensible, empêchant Bourdon de sombrer dans de vieux réflexes de jeu. Dévoiler les douleurs secrètes et la fragilité affective des protagonistes apporte la nuance et la délicatesse nécessaires à une comédie efficace.
À la première lecture du synopsis, un sentiment d’appréhension semble naturel. Notre curiosité doit pourtant nous permettre de garder l’esprit ouvert, pour assister à une jolie surprise : un film drôle, attendrissant et finalement plutôt instructif, où le rire n’est jamais moquerie et où la sensibilité du sujet n’est pas oubliée. Bouquet final tient une promesse simple : offrir un bon moment de divertissement, contre toute attente.