Il se dégage de Bruno Reidal, le premier long-métrage de Vincent Le Port, une froideur au moins aussi terrifiante que les fantasmes violents de son personnage principal, jeune séminariste devenu assassin. Dès les premiers plans, où Bruno (Dimitri Doré) découpe la tête d’un enfant hors champ, la mise en scène affiche sa distance. Nulle surenchère gore dans cet atroce spectacle, mais une attention accrue pour le corps du tueur, ses gestes minutieux et la trace du plaisir pervers sur son visage. Ausculté lors de son arrestation, le personnage porterait sur son corps les traces de sa maladie mentale, suivant les principes de la médecine légale du début du XXe siècle. Mais en donnant la parole au principal intéressé, Le Port fait buter son étude scientifique d’un cas criminel sur le mystère métaphysique de l’origine du mal. C’est notamment le cas lors de trois scènes destinées à expliquer les perversions du tueur, à savoir l’égorgement d’un cochon sous ses yeux, une insolation qui l’a presque tué, et son viol par un berger. Le caractère traumatique de ces épisodes semble au fond moins intéresser Le Port que leur absence apparente de conséquences. Agressé dans un champ, Bruno finit la scène prostré au pied d’un arbre, au cœur d’une nature silencieuse et indifférente à ses souffrances. Le cinéaste adopte de fait le point de vue clinique du rapport rédigé par le docteur Lacassagne, joué ici par Jean-Luc Vincent, acteur notamment vu chez Bruno Dumont. C’est d’ailleurs dans ce spectacle de pulsions brutales que Bruno Reidal tisse des liens avec le début de carrière du cinéaste nordiste : comme les héros de La Vie de Jésus ou de L’Humanité, Reidal est tiraillé entre la satisfaction de besoins primaires et un élan spirituel censé sublimer sa libido.
De cette tension, le film organise une mise en scène qui repose sur un répertoire d’images-choc alternant rétention (du désir, de la violence) et décharge (cf. la part centrale donnée aux scènes de masturbation). Dans chaque scène, la violence devient une issue possible, et son surgissement provoque un suspense analogue à celui d’un jump scare. L’indéniable fascination qu’exerce le film à cet endroit ne masque toutefois pas complètement l’ambiguïté de l’entreprise : à trop jouer la retenue, la mise en scène fait preuve d’une certaine affectation évoquant moins la rigueur de la morale catholique qu’une prudence précautionneuse. Les lents travellings qui encerclent Bruno lors de ses crises d’érotomanie tamisent la sauvagerie du jeune homme, comme si le spectacle de l’immondice ne pouvait s’accompagner d’une véritable représentation de la crasse. Si le film dresse le portrait d’un monde sans Dieu, où la ferveur religieuse de Reidal semble vouée à l’échec, la frénésie de ce personnage en lutte contre sa propre folie peine à transparaître.