Après un moyen-métrage remarqué (Le Gouffre), Vincent Le Port présente à la Semaine de la Critique un premier film impressionnant, Bruno Reidal, adapté des mémoires d’un véritable meurtrier ayant sévi dans le Cantal au début du XXe siècle. Organisé autour des confrontations entre le jeune homme et les trois médecins qui doivent juger sa responsabilité dans le meurtre d’un enfant, le film est parcouru d’éclairs de violence où la caméra saisit le travail des pulsions à travers les gestes de Bruno, dont les discrets tremblements et le regard sombre trahissent la rage. L’aspect clinique de la scène de meurtre, dont la brutalité est presque insupportable, n’a rien de complaisant : plus que la décapitation de l’enfant, c’est le sourire mystérieux que l’assassin arbore face au cadavre qui marque le spectateur, ouvrant le film sur un abîme de noirceur. Le long-métrage est particulièrement convaincant lorsqu’il fait buter son étude quasiment scientifique d’un cas criminel (le film s’ouvre d’ailleurs sur la description du corps et des postures de Bruno) sur le mystère de l’origine du mal.
C’est notamment le cas lors de trois scènes destinées à expliquer les perversions du tueur, à savoir l’égorgement d’un cochon sous les yeux de l’enfant, une insolation qui a presque tué ce dernier, et son viol. Le caractère traumatique de ces épisodes semble au fond moins intéresser Le Port que leur absence apparente de conséquences : agressé dans un champ par un vagabond, Bruno finit ainsi la scène prostré au pied d’un arbre, au cœur d’une nature silencieuse et indifférente à ses souffrances. Si le dernier mouvement du film, situé le jour de l’assassinat, met l’accent sur la ferveur mystique de l’assassin, promis à une brillante carrière de séminariste, la terreur que suscite Bruno Reidal donne le sentiment d’assister à l’effondrement d’un monde où Dieu est absent. Touché par la grâce lors de son aveu (cf. le halo lumineux sur lequel se superpose son visage devant la porte de la gendarmerie), Bruno ressemble au fond à une créature presque diabolique, dont le désir de meurtre n’aura pu être réfréné par les institutions humaines, qu’il s’agisse d’une Église impuissante – Bruno ne pourra pas même se confesser après son crime –, ou de la prison (interné, il ne fera jamais sa peine).