Ah, Michael Moore… ses amalgames, ses prophéties, ses fines et brillantes analyses d’une société, sort la nouvelle «bombe» politique qui va changer les mentalités du XXIe siècle, la misère des uns, la malhonnêteté des autres, et surtout, notre vision du monde. Car il s’agit bien de cela chez Moore : entraîner les foules. Comme un candidat à la présidentielle, il part une nouvelle fois en campagne, avec toute sa bonne foi, et une clairvoyance sans pareille. Et cela marche! La preuve pour lui : Obama a été élu. Petite recette d’un commentateur professionnel (auto-proclamé).
Avant de faire monter la pâte mooresque, prendre quelques postulats de départ :
1) Les spectateurs de Michael Moore ont cinq ans d’âge mental, il faudra donc leur parler sur un ton condescendant, faire le plus de montages possibles entre films de fiction et reportages, et commenter l’amalgame avec un ton ironique que l’on pourrait prendre pour du mépris. Il est bien connu que, pour amener à une réflexion, il faut abêtir au préalable.
2) Ne jamais vérifier ses sources, cela prend du temps, et personne ne vous attaquera sur le sujet.
3) Comparer l’incomparable, cela passe toujours inaperçu ; il faut absolument rire de tout, ou pleurer de tout car, pour décortiquer un fait économique, l’insolence est la maître-mot, l’abrutissement affectif -recette qui fonctionnait déjà très bien dans ses deux derniers films- le socle analytique. Sans insolence, point de salut, sans ironie, point de chronique.
Après avoir rassemblé ces premiers ingrédients, respecter le schéma suivant :
1) Commencer par un «docu-fiction» sur Rome, car il est assez clair que la société américaine moderne ressemble en tous points à la cassure entre plébéiens et patriciens. On demande du pain et des jeux, Michael Moore s’occupera des jeux, clairement. Bien expliquer que l’empire romain est très ancien. Ne pas oublier qu’il est tout à fait pertinent de comparer «la décadence de l’empire romain» et la crise culturelle du début du XXIe siècle : mêmes sociétés, mêmes crises socio-économiques, même ennemi : capitalisme ultra-libéral, né sous Auguste donc.
2) Présenter l’ennemi : le capitalisme romain, c’est la répression contre Spartacus ; le capitalisme américain, ce sont les expulsions des endettés qui ne paient plus les traites de leur maison, et sont mis à la rue par les shérifs. Tout en présentant l’ennemi, ne pas oublier qu’il n’est qu’un demi-dieu sur terre : le manichéisme. Saupoudrez de violons, de gros plans sur les pauvres en larmes (c’est bien connu, une larme fonctionne bien davantage qu’une explication). Ajoutez une lampée de misérabilisme, de manipulation totale des témoins qui sont filmés et persuadés que leur passage à l’écran changera leur situation. Ils ne sont d’ailleurs pas là pour témoigner, mais pour prouver que l’auteur a raison. Conclure chaque séquence du drame par une voix off époustouflante de narcissisme, car les larmes sont belles et cinégéniques, mais le patron, ne l’oublions pas, est derrière la caméra. Tout étant spectacle, il n’est aucun besoin de se priver d’une sur-mise en scène de la misère.
3) Quand on s’appelle Michael Moore, se comparer à Robin des Bois : sur ce point, revoir Sicko, dans lequel Moore expliquait déjà qu’il finançait «anonymement» ses détracteurs pour sauver la liberté d’expression.
4) Pour consolider la pâte, prendre les schémas les plus simplistes : le capitalisme mène à la répression, et a totalement décimé la classe moyenne américaine. Évitez absolument toute transition entre les plans et les idées, ne laissez surtout aucun répit aux esprits malins qui voudraient s’échapper de l’automatisme intellectuel. Le problème de la guerre du Vietnam ? la mécanisation du travail… Le problème de la politique de Reagan (présenté par un extrait de «Carmina Burana») ? il a été acteur…
5) Battre les quatre œufs, selon la bonne vieille méthode du kaléidoscope : multiplier les thèmes, les sources (fictionnelles, non-fictionnelles, cinématographiques, télévisuelles, internet), les parallèles. Chez Moore, qui trop embrasse étreint encore et encore.
6) Ne pas oublier la réception du plat (indigeste) : les spectateurs sont américains, bêtes, et croyants. Qui pourrait donc confirmer les dires de notre cuisinier sans être défié ? Un prêtre bien sûr. Car la plus grande raison de lutter contre le capitalisme est simple : le Christ n’aurait pas été capitaliste. Zut alors. Nous avons enfin compris. Comme les élections ont «changé» la donne -ce qui reste encore à prouver-, Obama est Dieu, Moore son fils.
Laisser reposer devant quelques clips, et mettre une dernière main à la pâte.
1) Comparer les États-Unis, bloc uni et fertile, au reste du monde, id est l’Europe : rappeler que la sécurité sociale (donc le socialisme) s’est introduite dans les constitutions du vieux monde grâce à l’aide financière des États-Unis -en omettant les projets initiaux de gouvernements militaires et l’installation d’une dépendance économique-. Pourquoi l’Amérique est-elle si méchante alors qu’elle a été si gentille ?
2) Un élément de réponse et de conclusion : Dieu ne semble plus soutenir les pauvres américains. La preuve ? L’ouragan Katrina, punition divine qui n’a touché que la classe la plus populaire de Louisiane. Il aurait été plus gentil s’il avait tué les riches, c’est sûr.
Filmer, pour Michael Moore, c’est prophétiser : Jésus, Obama, Roosevelt, Moore, même combat. Ne pas oublier une dernière lampée religieuse avant de déguster.
Pour goûter ce plat indigeste, huilez abondamment votre esprit.