Premier film de la Libanaise Nadine Labaki présenté à la Quinzaine des Réalisateurs cette année à Cannes, Caramel propose à la fois un récit divertissant et le tableau d’une société. Tableau peut-être trop coloré et sympathique pour ne pas agacer, mais au rythme duquel on peut aussi se laisser porter.
Avant de réaliser Caramel, Nadine Labaki a tourné des publicités et des clips musicaux. Avec ce premier long-métrage, elle se met à raconter des histoires. Les histoires sentimentales de cinq femmes libanaises qui se croisent dans un institut de beauté, à Beyrouth. Layale aime un homme marié, Nisrine s’inquiète à la veille de son mariage car elle n’est plus vierge, Rima voit grandir ses désirs homosexuels, Rose se sacrifie pour s’occuper de sa vieille sœur et Jamale refuse de vieillir. L’enchaînement d’événements compte cependant moins que celui des gestes, des corps et des couleurs. Le générique, ballet cérémonial autour de la préparation du caramel, invite à lire le film comme une danse, une ligne musicale rythmée. Plaisant et/ou irritant, l’univers de Caramel possède en tous cas une tonalité qui lui est propre : la plupart du temps enfermées dans leur salon de beauté, les protagonistes (incarnées par des actrices non professionnelles qui ont improvisé certains dialogues) évoluent dans un lieu insulaire qu’elles emplissent d’une rythmique particulière, de bavardages, rires et déplacements chorégraphiques.
Le film frôle certes le danger d’un glamour superficiel et l’on peut être agacé par son côté clip musical aux couleurs vives, par l’apparence clinquante de ces femmes, sœurs libanaises des héroïnes d’Almodóvar, par leur babil incessant… Certaines scènes n’échappent pas non plus à une certaine lourdeur, lorsque la musique surenchérit les émotions des personnages et impose une lecture trop univoque. Mais si l’on accepte d’entrer dans le jeu, on peut aussi se laisser porter par l’atmosphère de ce microcosme et suivre le rythme proposé.
Si Caramel peut se lire comme une mélodie, cette mélodie est aussi narrative, et c’est par le biais des problématiques intimes des cinq femmes que le film s’ancre dans la réalité libanaise. Chacune des protagonistes est tiraillée entre son désir d’émancipation et son attachement aux valeurs familiales et religieuses. Aimer un homme marié, se marier, être homosexuelle… sont des problématiques universelles mais qui au Liban ont des enjeux particuliers. Dans certaines scènes, le film cesse d’être une fiction divertissante et informe sur ce qu’il en est des mentalités de ce pays. En nous montrant Layale confrontée à l’interdiction de louer une chambre d’hôtel à un couple adultérin, Nisrine recouvrant son décolleté avant d’aller dîner chez ses futurs beaux-parents, Nadine Labaki dresse aussi un portrait des Libanais, encore figés dans certaines traditions. Les rares hommes que l’on croise ne sont pas pour autant montrés du doigt. Ils sont même sympathiques, et c’est un des mérites du film (que la réalisatrice dit avoir co écrit avec deux hommes pour éviter une vision trop féminine) d’échapper au manichéisme réducteur qui ferait de la gens masculine le bourreau des charmantes protagonistes. Aucune scène larmoyante donc, mais une présence en filigrane de l’étouffement des Libanaises.
La guerre est traitée de la même façon. Jamais montrée, elle demeure présente parce qu’en sont filmées les conséquences, le besoin d’évasion et de légèreté ressenti par les habitants de Beyrouth. Loin d’être signe de naïveté et d’insouciance, l’omniprésente allégresse apparaît alors comme un refuge, une tentative d’insuffler du mouvement dans une société encore engluée et en conflit. Comme ses protagonistes qui s’enferment dans leur salon et rendent cet univers conforme à leurs désirs, Nadine Labaki se prononce sur la situation tragique de son pays et de sa ville (à laquelle le film est dédié) en revendiquant la possibilité d’une joie salvatrice.