Auréolée d’un succès surprise à la sortie de Caramel, la cinéaste libanaise Nadine Labaki propose une nouvelle fable vaguement féministe où la solidarité est érigée comme valeur-rempart contre les dérives guerrières de ses concitoyens. Le résultat, propre mais sans aucun charme, mise sur un exotisme un peu toc, laissant éclater un discours vaguement lénifiant sur l’absurdité des conflits religieux.
Reparti avec le Prix Œcuménique au dernier festival de Cannes où il était présenté dans la sélection Un Certain Regard, le second film de Nadine Labaki aurait pu être une agréable surprise. Quatre ans après le succès planétaire de Caramel, fable inoffensive perdue quelque part entre Vénus Beauté (Institut) et Femmes au bord de la crise de nerfs, on aurait pu espérer que la jeune réalisatrice gagne en maturité et prenne un peu plus à bras le corps ses sujets, osant enfin se débarrasser de cette tendance à la vignette au charme totalement aseptisé. Évidemment, il ne faut pas se méprendre et bien comprendre que la volonté de Labaki n’est certainement pas de faire des films tels que Dans les champs de bataille de Danielle Arbid (autre cinéaste libanaise), mais bien d’affirmer un style et un ton dans le traitement de ces sujets. Cherchant par tous les moyens possibles à rendre son film séduisant (couleurs flamboyantes, photographie léchée) – ce qui rend assez rapidement l’objet suspect –, la réalisatrice revendique l’allégorie pour faire passer – en douceur – des messages politiques. La guerre n’existe donc qu’en hors-champ et la société civile n’est définie que par des archétypes confortables qui évitent toute remise en question des repères traditionnels.
La scène d’ouverture donne le ton : un cortège de femmes toutes habillées en noir se dirige vers un cimetière pour honorer la mémoire de leurs maris et fils disparus. Une fois arrivé sur place, le groupe se scinde en deux : les musulmans d’un côté, les chrétiens de l’autre. Nul besoin d’attendre davantage pour comprendre rapidement l’intention de Labaki : à travers ce groupe de femmes solidaires, c’est l’absurdité des conflits religieux qui est ici dénoncée, condamnant les veuves et mères éplorées à une sorte de point de non-retour. Mais voilà, dès les premières images, quelque chose chiffonne : toutes ces femmes sont belles, portent leur deuil avec une dignité très cinématographique et la symbolique est bien lourdaude. La suite n’est malheureusement pas plus subtile. En près de deux heures, la cinéaste s’épuise à dessiner des situations au cours desquelles la gente féminine, forcément plus humaine que le sexe fort essentiellement composé de rustres et de benêts, va user de tous les stratagèmes pour désamorcer les conflits religieux, toujours latents au sein de la communauté villageoise : filtrage des nouvelles du conflit, saccage de la seule télévision, dissimulation des relents d’intolérance, tous les prétexte sont bons pour tenir le conflit religieux loin du groupe, quitte à le réduire à une sorte d’abstraction, jusqu’à ce qu’un point-limite soit atteint, bien évidemment…
Certes, Nadine Labaki a au moins le mérite de ne pas succomber aux sirènes d’un misérabilisme que l’on trouve un peu trop fréquemment dans les films estampillés world où il est souvent question de montrer que les plus déshérités savent malgré tout rester dignes. À cela, elle préfère dépeindre un microcosme utopique où la fantaisie et l’absurde prédominent comme autant de moyens d’autodéfense face à la cruauté de la guerre. Seulement, rien ne tient vraiment la route : les scènes-cultes du film (les villageois regardant un film comprenant une scène érotique, la femme du maire prétendument possédée par la Vierge, etc.) tombent toutes à l’eau. La faiblesse d’écriture des dialogues, le sur-jeu des acteurs et des actrices et l’incapacité chronique de la réalisation à transcender la réalité sont autant de handicaps qui ne permettent jamais à Et maintenant, on va où ? d’être autre chose qu’une fable lourdement démonstrative où le décorum trahit les intentions d’une réalisatrice en manque d’audace et/ou de courage pour prendre véritablement en main son sujet. L’essai est donc loin d’être transformé.