On a pris coutume de présenter Citizen Dog comme le pendant thaï du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Il fait, certes, grand étalage de fantaisie, est d’une inventivité et d’un second degré réjouissants. Surtout, Wisit Sasanatieng fait preuve d’un sens du kitsch que Les Larmes du tigre noir, son premier long métrage, avait fait éclater au grand jour. Mais il doit aussi une certaine pesanteur au fait d’avoir adapté le roman de sa femme Koynuch : on ne dépasse pas le cap d’une simple rencontre amoureuse à Bangkok, si fantasque qu’elle soit. Le grand talent de metteur en scène de Wisit Sasanatieng reste ainsi sous-employé.
Les dix premières minutes de Citizen Dog sont pourtant exultantes, tant le réalisateur réussit à créer une atmosphère et un ton propres. Les images du film sont repeintes à la main afin d’aboutir à un effet chromo d’époque, d’un kitsch résolu. Pott quitte donc une campagne aux blés rouges pour aller travailler dans une usine de Bangkok comme ouvrier coupeur de sardine. Là, il se tranche un doigt qui file dans une boîte semblable à toutes les autres. Après cet épisode semi-burlesque, Pott continue de nous raconter son parcours en voix off : devenu liftier, il rencontre dans l’ascenseur celle qu’il va désormais voir partout et aduler : l’idéaliste et rêveuse Jinn. Celle-ci, de son côté, cherche désespérément la signification de ce bouquin tombé chez elle du ciel, lors d’un crash d’avion, comme un signe divin. Lorsqu’un manifestant possédant le même livre est tué lors d’une manifestation, elle devient militante. Pott, lui, devient chauffeur de taxi et rencontre une petite fille qui mène une relation de couple difficile avec sa peluche… etc., etc., etc. : dans Citizen Dog, les histoires se succèdent, s’entrelacent et s’enchaînent à toute bringue.
Pluie de casques rouges, personnage récurrent de motocycliste zombie, montagne de bouteilles en plastique recyclé : Wisit Sasanatieng multiplie les inventions fantasques et surréalistes. Beaucoup de films thaïlandais récents témoignent d’une même propension à délaisser la réalité pour le rêve − Tropical Malady, d’Apichatpong Weerasethakul − ou le sérieux pour la fantaisie − Midnight My Love de Kongdej Jaturanrasmee, qui vient d’être présenté au festival d’Edimbourg, ou encore la comédie pro-gay à l’humour débridé Iron Ladies de Yongyoot Thongkongtoon.
Il faut avouer que le genre du film fantaisiste, surtout, justement, depuis Le Fabuleux destin international d’Amélie Poulain, est particulièrement proliférant. Il y a pourtant deux types de d’usage de la fantaisie, l’un agaçant, l’autre riche. Dans le premier cas elle est bien souvent le cache-misère d’un message bienheureux et faussement puéril du type : le monde est trop sérieux, retrouvons notre âme d’enfant, apprenons à nous ré-émerveiller, ou bien de la morale suivante : il n’y a que ce qui est un peu fou et marginal qui soit valable. Citizen Dog tombe de temps en temps dans ce genre de piège. La petite Mem, qui se fait passer pour une grande en fumant et en plaquant régulièrement son nounours, est une figure inversée de celle (fortement valorisée) des deux héros, adultes restés enfantins. Le thème de la queue de cochon que possèdent tous les habitants de Bangkok, sauf Pott, sonne naturellement comme un appel à l’anticonformisme. La fantaisie s’auto-justifie.
A contrario, certaines inventions du film reposent sur un véritable contenu. On visualise l’opposition ville-campagne par un net changement de rythme : lorsque Pott revient chez lui, il découvre que la campagne vit au ralenti (effectivement, l’escargot sur la tige est encore plus lent que d’habitude, le filet du pêcheur met une éternité à s’enfoncer dans l’eau). Pareillement, un mini-métrage dans le long évoque les multiples réincarnations de la grand-mère de Pott, jusqu’à un gecko sur un abat-jour. À voir de pareilles séquences, aussi drôles que belles, on se prend à espérer beaucoup, beaucoup plus en tout cas, du prochain film.