Un mois après la sortie du film Histoires enchantées d’Adam Shankman, Cœur d’encre arrive sur les écrans avec un postulat similaire : la lecture et l’écriture peuvent être des expériences magiques, surprenantes et trépidantes. Un message plein de bonnes intentions aux enfants du XXIe siècle, hypnotisés par la télévision et internet : la littérature c’est trop cool! En décembre, Adam Sandler, « Mister comédie potache », se retrouvait aux prises de situations rocambolesques, les histoires inventées par ses neveux devenant réelles. En janvier, Brendan Fraser, « spécialiste ès-Momie », affronte tornades et créatures hideuses pour sauver femme et enfant, et notre joli monde par la même occasion.
Lorsque Mo (Brendan Fraser) lit à haute voix, il donne vie aux personnages des romans. Mais ce don a une contre-partie tragique : lorsqu’il extrait un personnage d’un livre, une personne de notre monde s’y trouve propulsée à sa place. Il l’a malheureusement découvert en emprisonnant sa propre épouse, Resa, dans un roman fantastique pour enfants intitulé Cœur d’encre, d’où il a laissé s’échapper une bande de personnages peu recommandables. Neuf ans après la disparition de Resa, Mo finit par retrouver un exemplaire de Cœur d’encre et rencontre au même moment un des personnages échappés du roman, Doigt de Poussière (Paul Bettany), empli d’une vive colère à l’égard de celui qui l’a contraint à l’exil. Les deux hommes devront pourtant s’allier pour reconstituer leurs familles respectives et affronter les plans machiavéliques de Capricorne. Ce méchant colérique, échappé du roman, trouve de grands avantages à vivre dans le monde des humains. Pour asseoir son pouvoir dans notre dimension, il entend faire venir L’Ombre, force destructrice de Cœur d’encre, grâce à la voix de Meggie, la fille de Mo, dotée évidemment des mêmes pouvoirs que son père.
Un lecteur humain se découvre une influence sur un univers livresque merveilleux… Deux dimensions se rencontrent et interfèrent… À la lecture du pitch, on prie dans l’espoir de retrouver la magie de L’Histoire sans fin (Wolfgang Petersen, 1984), tant les ressorts scénaristiques semblent proches. Si le film des années 1980 semble aujourd’hui avoir un côté kitsch et bricolé, il faut bien avouer que notre fascination pour les aventures « translivresques » de Bastien et Atreyu reste intacte. Il n’en est malheureusement pas de même avec celles de Mo et Doigt de Poussière, dont l’apparente trépidation n’empêche pas une lassitude rapide. Dans Cœur d’encre, on s’agite pour pas grand chose. Les péripéties vécues par Mo, le courageux relieur de livres, et Meggie, l’enfant trop sage pour être vraie, ne parviennent jamais à nous transporter et à nous convaincre. Problème majeur : le spectateur ne ressent aucune empathie pour les personnages. Hermétique à l’angoisse et la peur des apprentis héros, il finit donc par s’ennuyer profondément, espérant en vain découvrir l’univers merveilleux d’où sont issus Doigt de Poussière, Capricorne et consorts.
Seule jolie pirouette scénaristique : l’utilisation faite par Mo du roman Le Magicien d’Oz (L. Frank Baum, 1900) pour provoquer une tempête, permettant un mouvement de fuite dans un moment critique. On sourit également au passage en guest star de Toto, le petit chien de Dorothy dans ce même roman, identique ici à celui de la version cinématographique de Victor Fleming (1939). Le film Cœur d’encre est l’adaptation du roman éponyme de l’autrice allemande Cornelia Funke (2004), premier tome d’une trilogie (Sang d’encre, 2006 et Mort d’encre, 2008). Cette saga repose sur un jeu constant de références aux grands contes de la littérature jeunesse. Le film de Iain Softley tente donc de restituer la mécanique intertextuelle caractéristique de la trilogie de Funke, par ces deux citations du roman Le Magicien d’Oz. Mais se référer à un seul et unique roman conduit à donner l’impression d’un simple « truc », palliant passagèrement la vacuité d’un scénario en mal de rebondissements convaincants. Le caractère aujourd’hui quasi patrimonial des aventures de Dorothy, rendues internationalement célèbres grâce au film musical de Fleming, fait finalement de l’ombre au film Cœur d’encre et met en valeur son manque d’originalité.
Quelle surprise de voir le nom de Cornelia Funke au générique du film, catégorie production. Comment un auteur peut-il supporter une version aussi insipide de son propre travail? Comment le jeune public peut-il ne pas être frustré, voire blessé, de voir son intelligence à ce point méprisée? Les amateurs de cette récente trilogie allemande, véritable hymne à la lecture et au genre fantastique, seront assurément déçus par une adaptation cinématographique aussi fade et réductrice. Si certains avaient trouvé une trop grande naïveté au Monde de Narnia (Andrew Adamson, 2005) et à sa suite Le Prince Caspian (Andrew Adamson, 2008), ces films-là n’avaient-ils pas le mérite d’essayer de nous plonger dans un univers alternatif visuellement riche, permettant de susciter la fascination d’un public jeune (ou moins jeune)? Car avec Cœur d’encre, tout semble factice et maladroit : costumes grossiers, maquillages outranciers, créatures stéréotypées dignes d’un épisode des Power Rangers, effet carton pâte des décors (alors que le film est tourné en grande partie en extérieurs naturels, un comble!)… Cœur d’encre semble avoir vieilli avant même sa sortie…
Un seul conseil aux lecteurs de Critikat : pour connaître un vrai moment de féerie cinématographique, préférez plutôt voir ou revoir Stardust (Matthew Vaughn, 2007), la maturité et la subtilité du roman source n’ayant d’égales que la beauté de l’adaptation cinématographique.