La Colère d’un homme patient, quel beau titre ! Il résume bien la contradiction au cœur du film entre la violence des actes vengeurs de l’antihéros taiseux — José — et le temps qu’il lui a fallu attendre (huit ans) pour avoir l’opportunité de les perpétrer. Il cerne également les intéressantes ambiguïtés d’un personnage de justicier fascinant par son degré de contrôle (le machiavélisme de son plan mûrement réfléchi) et pathétique vu son enfermement buté dans une réalité qui n’est plus — tuer les assassins de ses proches ne les ramènera pas à la vie.
En mouvement
Pour son passage derrière la caméra, Raúl Arévalo, acteur présent dans La Isla Mínima, autre polar ibère récent, place ses personnages dans une avancée âpre et continue. Le long plan-séquence qui fait office de scène introductive donne le ton. Tout se passe depuis l’intérieur d’une voiture, dans le regard du chauffeur associé à ce qui va s’avérer être un braquage aussi raté que sanglant. Le découpage choisi fait penser au Drive de Nicolas Winding Refn. Raúl Arévalo joue comme lui sur des aller-retours entre le conducteur en attente et l’extérieur longtemps désert du lieu cambriolé. Mais il s’agit là d’un Drive humanisé, non théorique, où la peur panique remplace la froideur d’exécution, où l’image léchée fait place au grain du 16 mm.
Le reste du film est à l’avenant. Le montage saccadé, enchaînant les plans courts, avec des ellipses brutales, aide à donner cette sensation d’un mouvement perpétuel. Une séquence sur deux, la caméra suit de dos des personnages en train de marcher. Dans la rue, dans un couloir d’hôpital, peu importe, ils marchent, d’un pas rapide, courent, toujours pressés, en lutte contre la vie et le temps. Ces plans récurrents renforcent la sensation d’une tragédie inéluctable. Le piège tendu par José avance par étapes successives et implacables, selon la ligne droite de la vengeance.
En droite ligne
Cette trajectoire rectiligne renvoie au genre choisi. Le revenge movie repose sur ce principe d’accélération, d’un crescendo dans la tension dramatique, avec de temps à autre des percées de violence. Mais dans La Colère d’un homme patient, sans minorer ses indéniables qualités, ce système devient la limite organique du film. À force d’avancer à marche forcée, le scénario qui souffre de dialogues parfois trop explicatifs en vient à laisser de côté les interactions entre les personnages principaux. Le duo formé en cours de route par José et Curro — le chauffeur du braquage — a du mal à prendre de l’ampleur, avec une direction d’acteurs flottante dans les rares moments de creux qui parsèment leur parcours en commun. Surtout, le personnage d’Ana, compagne de Curro et bientôt amante de José, se retrouve vite sacrifié, alors qu’il tend tout le premier tiers d’une aura particulière. Sa sensualité fragile sort un temps José de ses objectifs meurtriers et donne accès aux failles de ce dernier. Mais son mystère va au-delà. S’appuyant sur le jeu animal de Ruth Diaz, Raúl Arévalo instille l’idée qu’en bonne femme fatale si les hommes se mettent à s’entretuer autour d’Ana c’est faute de pouvoir totalement la conquérir. Le jury de la section Orizzonti du Festival de Venise 2016 ne s’y est pas trompé en donnant à Ruth Diaz le Prix d’interprétation féminine.
Plus le film avance, plus la mécanique du récit devient voyante. Et l’intérêt faiblit avec cette impression de déjà-vu. Le twist du dernier acte est ainsi des plus prévisibles. La mise en scène insiste trop sur tel petit geste, telle phrase ambiguë, pour ne pas le rendre attendu et en fait superflu. Solide sur ses bases, La Colère d’un homme patient n’avait pas vraiment besoin de ce type de rebondissements saisissants. Il aurait par contre gagné à mieux décrire les territoires qu’il traverse. Le film effleure la crise sociale qui touche l’Espagne. Il décrit par bribes les quartiers pauvres qui ne vivent pas selon les mêmes règles que des zones huppées ou les périphéries qui n’ont guère en commun avec les centre-villes. En s’y attardant encore davantage, Raúl Arévalo aurait pu ancrer son histoire de vengeance vaine dans un environnement complexe qui aurait décuplé les conflits internes de ses personnages et les enjeux profonds de leur affrontement.