Longtemps, il a été question que John Milius revienne à la saga de Conan, le héros de Robert Howard dont il avait mis en scène la première aventure en 1982. Ce King Conan, fantasmé par les fans, n’aura donc pas vu le jour, soit. Au profit d’un remake, soit. En revanche, que le spécialiste des remakes foireux Marcus Nispel s’y colle en aura inquiété plus d’un – à raison.
Plus que jamais, l’époque actuelle répond aux années 1980 – remakes à foison, légitimés par le renouveau des effets numériques autant, diront les esprits chagrins, que par une pauvreté grandissante dans les scénarios hollywoodiens. Ce Conan ne fait pas exception à la règle : agrémenté de Computer Generated Images à foison, il reprend un des films les plus célèbres des eighties, et de la fantasy, probablement le genre le plus emblématique de cette décennie avec le slasher à la Vendredi 13. Exception notable, cependant : si la plupart des remakes récents peuvent légitimement prétendre offrir un lifting salutaire au matériau originel, le Conan le barbare de John Milius reste, aujourd’hui encore, esthétiquement pertinent. L’ampleur de la mise en scène de John Milius, son sens du drame épique, la férocité du script permettent à Conan le barbare de traverser sans encombre les décennies.
Comme ce fut le cas pour Freddy, les griffes de la nuit l’année dernière, cette nouvelle version confond les termes. Ainsi : la férocité héroïque de John Milius devient, chez Nispel, une brutalité pure et simple. Conan le barbare devient donc Conan le bourrin, à la faveur, mais pas seulement, d’une hideuse première scène de naissance par éventration vue de l’intérieur de l’utérus. Là, c’est certain, Nispel innove. Mais pour le meilleur ? Pas sûr… La première partie du film est à l’avenant : ces combats d’une brutalité complaisante semblent nous dire qu’on se situe dans une époque sans merci. Et certes, le spectacle surprend, est même plaisant à l’œil pour ceux qui attendaient Nispel à l’angle de l’adaptation de l’univers de Robert Howard. Hélas, en dehors de ces démonstrations de brutalité extrême, le réalisateur n’existe pas vraiment, se contentant d’une mise en scène uniquement démonstrative, comptant sur son seul sujet et ses seuls effets pour invoquer le souffle épique, indispensable à une telle saga.
Quoi qu’on pense de son adaptation de la maîtresse œuvre de Tolkien, Peter Jackson est parvenu, dans Le Seigneur des anneaux, à formaliser un discours esthétique épique, grandiose, emprunt de la même gravité mythologique qu’on retrouve chez John Milius. Nispel, expert en récupération, s’en souvient, qui utilise les incrustations numériques à outrance – sans pour autant que celles-ci ne convainquent vraiment. Cela constitue d’ailleurs une grande partie de l’esthétique de son film, le reste – les scènes de grotte finales, notamment – étant le plus souvent emprunté à son amusant mais mineur Pathfinder. Mais c’est surtout dans son traitement de la temporalité que pèche Marcus Nispel. La fantasy est, avant tout, un genre propice au voyage, à la quête. Derrière ces mots, on verra souvent celui d’« initiatique ». Des récits de formation, de changement, de maturité, qui tirent tout leur sel du partage de cette expérience entre le personnage et son spectateur. Foin de tout cela chez Nispel : il s’agit, encore une fois, d’aligner les scènes brutales, jamais épiques, jamais émouvantes, jamais humaines. On peut le discerner dans le mépris affiché par le montage de la donnée temporelle : ainsi, Conan doit-il se rendre dans un royaume lointain, la transition ne prendra que le temps d’un changement de séquence. Le héros doit-il retrouver un autre personnage, dans une ville inconnue de lui ? C’est évidemment dans la bonne auberge qu’il se rendra, pour le retrouver en deux phrases et un coup de poing. Faut-il faire passer le héros de brute misogyne à celui d’amoureux galant ? Un sabre dans la main de l’héroïne lors d’un abordage tout mou y pourvoira.
Le plus important du voyage n’est jamais sa destination, mais bien le chemin parcouru. Thulsa Doom, l’antagoniste du Conan de John Milius, ne dit pas autre chose lorsque, dans la confrontation finale, il souligne au barbare que sans lui, sans la haine qu’il lui a portée, sans le combat qu’il a mené contre lui, Conan ne serait rien. Et Thulsa Doom de, fort justement, souligner qu’un père n’aurait pas éduqué plus intensément un fils que lui n’a formé Conan. De ce tragique grandiose, de cette nécessité de réfléchir sur soi dans un monde où la civilisation n’est qu’une chimère, de cette réflexion sur l’individu, Marcus Nispel ne retient rien, ne semblant s’appuyer que sur la plastique irréprochable de Jason Momoa, son Conan, et sur l’opportunité de donner dans la barbarie la plus inepte.