Un pull rayé, un chapeau mou, un gant surmonté de griffes acérées et le visage brûlé : lorsque la silhouette de Freddy Krueger apparaît pour la première fois en 1984 dans Les Griffes de la nuit, personne ne se doute encore que le cinéma américain vient d’enfanter l’une des créatures les plus terrifiantes de son bestiaire de freaks sanguinaires. À la différence d’un Jason Voorhees (Vendredi 13), d’un Michael Myers (Halloween) ou d’un Leatherface (Massacre à la tronçonneuse), Freddy n’a pas la langue dans sa poche (parfois littéralement) et ses meurtres, tous plus farfelus les uns que les autres, sont toujours précédés d’une torture psychologique qui, d’une suite à l’autre, est devenue prétexte à un comique macabre, délestant le personnage de son caractère monstrueux pour en faire un gag ambulant.
Comme souvent, le premier épisode de la saga est le plus brillant. Réalisé par Wes Craven, l’un des maîtres du genre (de La Dernière Maison sur la gauche à Scream en passant par La colline a des yeux), Les Griffes de la nuit repose sur un concept génial : un monstre vient trucider les adolescents d’une paisible bourgade américaine dans leurs rêves. Craven réinventait déjà les codes du cinéma d’horreur − un psychopathe attaque des jeunes lubriques et la jeune héroïne vierge et pure s’en sort toujours à la fin − en amenant le tueur dans le subconscient de ses victimes : pas de repos pour les braves, même les rêves humides n’ont pas droit de cité dans une Amérique alors en plein conservatisme reaganien. Obsédé par l’héritage violent de son pays, de la colonisation à la guerre du Vietnam, Craven en profitait également pour s’interroger sur le legs laissé par les générations précédentes : sans trop en dévoiler, on peut dire que Freddy Krueger a de bonnes raisons d’en vouloir aux parents de ses victimes.
Aujourd’hui encore, le propos tient la route et l’idée d’un remake n’était pour une fois pas si mauvaise. Car en dehors d’un extraordinaire Freddy 7 (Freddy sort de la nuit) réalisé par Craven au début des années 1990, qui posait les bases de la série des Scream en invitant Freddy (le personnage) dans le monde réel peuplé par ses créateurs et ses interprètes, les différentes suites ont considérablement amoindri le propos et la capacité du monstre à épouvanter les foules. Hélas : avec Michael Bay à la production, difficile de s’enthousiasmer, malgré le recrutement de Jackie Earle Haley (vu notamment dans Watchmen) dans le rôle-titre. Celui-ci a beau s’acquitter fort bien de la lourde tâche de succéder à l’iconique Robert Englund, délaissant le guignol pour une terreur pure, parfois réellement insoutenable, le film est loin d’être à la hauteur de ce bel effort. Au programme, donc : gorges tranchées, corps mutilés, éviscérations et autres joyeusetés qui font le triste cahier des charges du cinéma d’horreur américain des années 2000. Le réalisateur, Samuel Bayer, ne sait même pas vraiment quoi faire de l’évolution majeure de son personnage principal : de meurtrier d’enfants dans l’original, Freddy est devenu un ancien pédophile… S’il y avait là matière à développer une réflexion sur le refoulé chez les mineurs victimes d’attouchements ou de viols, Bayer se contente de déplacer son propos vers le doute (Freddy était-il réellement ce dont on l’a accusé ?) avant de reprendre le droit chemin du gore pour multiplexes. Reste une certaine créativité plastique dans les scènes oniriques qui, vidée de sa substance, n’a plus beaucoup d’intérêt. On n’aurait pas si peur de s’endormir, on en bâillerait presque…