C’est une scène qui se situe vers le milieu du film : Ivan (Dolph Lundgren) et Viktor Drago (Florian Munteanu), de retour en Russie, fêtent leur victoire contre Adonis Creed (Michael B. Jordan), alors détenteur du titre de champion du monde de poids lourds de boxe. À cette occasion, Viktor obtient le short de son père où le nom de Drago est inscrit sur la ceinture. Cette scène fait écho à une autre du premier volet de Creed, réalisé par Ryan Coogler, où Adonis recevait des mains de sa mère le short de son défunt père, Apollo Creed. Ces deux scènes, mises en miroir, renseignent sur le projet de Steven Caple Jr pour Creed II : si elles semblent d’abord reconduire le même programme, la transmission nourrit ici une perspective diamétralement opposée à celle du premier film. Ainsi, plutôt que de s’intéresser à l’ascension du fils d’une légende de la boxe comme l’avait fait Coogler, il s’en tient à la façon dont celui-ci va tenter de conserver son titre. Le film alterne ainsi dans son introduction les entraînements de Viktor en Ukraine et l’obtention du titre de champion d’Adonis, là où le premier film suivait patiemment l’ascension de ce dernier, qui devait apprendre à endosser le nom de son père et surpasser sa légende. D’emblée sacré champion, le jeune homme se présente alors sous un jour arrogant, se servant de la boxe pour se venger et non plus comme une manière de faire son deuil. Le film rechigne pourtant à faire basculer son point de vue du côté de Viktor, relégué au rang de montagne de muscles peu loquace. Les premiers plans dessinaient pourtant des enjeux similaires au film de Coogler, montrant Viktor face à une statuette et à des photos du passé glorieux de son père. Lui aussi doit donc faire face à l’ombre du paternel, autrefois grand boxeur – et meurtrier accidentel d’Apollo. Mais il aurait fallu pour explorer cette voie que le film fasse de Creed l’antagoniste et de Viktor le héros.
Creed II trouve toutefois un autre sillon à creuser pour retrouver l’attachant jeune boxeur : il s’apprête en effet à son tour à devenir père et craint de ne pas pouvoir être à la hauteur, tout comme il redoute de ne pas être un bon mari pour Bianca (Tessa Thompson) qui perd peu à peu l’ouïe. Ce choix d’écriture vient mettre en lumière ce que racontait en sourdine le premier Creed, à savoir la substitution d’un père absent (Apollo) par un père d’élection (Rocky). La belle idée du film est de faire de Rocky une gloire du passée, spectrale (il apparaît dans le reflet d’un miroir, dissimulé dans l’ombre, alors qu’Adonis est tout du long bombardé de lumière) qui doit tenter de renouer avec son fils en même temps qu’Adonis, son fils adoptif, apprend à devenir père. Creed II déplace ainsi le conflit qui se nichait au cœur du premier film : ce n’est plus au nom légendaire qu’Adonis doit se confronter mais au père qu’il n’a jamais eu. C’est le sens d’un plan très beau qui réunit trois générations de Creed : la petite fille, le père et le grand-père (sous la forme d’un sticker géant collé sur la baie vitré d’un centre d’entraînement). Le programme du film de boxe reprend cependant le dessus dans la dernière partie du film et finit d’entériner le cap paradoxal de cette suite, qui ne fait que filmer une reconquête symbolique.