La carrière de Sylvester Stallone a connu une perte de vitesse à la fin des années 1990. Et bien qu’il ait livré une prestation remarquable dans Cop Land (James Mangold, 1997), le public et la critique ont fini par se montrer indifférents, ne voyant en lui que la déchéance du cinéma d’action musclé des décennies précédentes. Il s’est essayé à des projets plus ambitieux (Driven, Renny Harlin 2001, Get Carter de Stephen T. Kay en 2000), mais en vain. Il retombe sur ses pieds grâce à la télévision et un programme de télé-réalité qu’il anime (The Contender, 2005). Le show tournait autour de la boxe. Est-ce là que lui est venue l’idée (folle) de ramener son personnage fétiche, Rocky, qu’il a créé trente ans plus tôt, sur les écrans ? Ou a-t-il tout simplement enfin retrouvé l’œil du tigre ?
La suite d’un bon film, affirme-t-on généralement, est souvent moins bien que le film original. Une suite, selon une logique de production, sert à fructifier le succès du film précédent. C’est assez rarement une démarche artistique. Prenez Rocky (John G. Avildsen, 1976) : un homme venu des bas-quartiers de Philadelphie se battait corps et âme, envers et contre tous pour prouver qu’il était le meilleur boxeur de tous les temps. La force du film venait sans doute de la similitude entre le personnage de Rocky Balboa et Sylvester Stallone, acteur principal mais aussi, rappelons-le, scénariste du film. Il racontait son propre combat pour exister, déguisé ici en conte moderne américain. Stallone y évoquait sa soif de reconnaissance, son envie de réussite, sa rage au sein de la lutte des classes. Il y avait de l’authenticité dans la fiction, de la véracité dans le propos et un vrai besoin d’expression. Et prenez ses quatre suites : Stallone embourgeoisé (passé dans l’autre camp), nettement moins enragé (plus de lutte à mener), perd de sa conviction donc de sa capacité à convaincre : Rocky II, III, IV et V sont des films purement mercantiles à l’intérêt franchement limité.
Pour qu’un nouvel épisode de Rocky soit touchant, il fallait donc qu’il parte, lui aussi, d’une nécessité, que Stallone ait à nouveau besoin de raconter à travers Rocky sa propre histoire, celle d’un homme âgé à la gloire passée mais doté d’une irrésistible envie d’exister à nouveau. Il écrit et réalise alors Rocky Balboa, sixième opus de la série, sans chiffre dans le titre, tissant un lien direct avec le premier film. Rocky a définitivement raccroché les gants. Il vit dans le quartier populaire qui l’a vu grandir, où il tient un restaurant décoré de tous ses anciens titres de champion et dans lequel il tient compagnie à ses clients qu’il distrait de ses anecdotes de combat (rappelons que Stallone est le co-fondateur de Planet Hollywood, chaîne de restaurant ornée de photos, d’effigies et d’objets issus de films hollywoodiens). Adrian, sa femme, est morte emportée par un cancer quatre ans plus tôt et son fils, embarrassé par ce père trop imposant, le fuit. Il ne lui reste que son beau-frère Pollie et ses souvenirs. C’est bien peu. Mais alors que l’actuel champion de boxe, Mason Dixon (un Noir du ghetto embourgeoisé, brutal et hautain) fait fuir tous ses adversaires, le nom de Rocky ressurgit dans les médias, comme la relique d’une époque où le sport se pratiquait encore avec noblesse. Rocky, qui souffre silencieusement de ne plus avoir de but, n’est pas insensible à cet appel déguisé.
Le moteur du film tient dans cette analogie entre Rocky et Stallone, le parallélisme de leur existence et leur rêve commun. L’un veut reprendre la boxe alors qu’il a passé l’âge, l’autre veut réaliser un nouvel opus à la saga Rocky seize ans après l’échec (commercial et critique) du dernier film en date. Aucun des deux n’est crédible, les paris semblent impossibles et le combat perdu d’avance. Le film joue de son improbabilité : comment légitimer ici les deux séquences finales qui concluent chaque épisode (l’entraînement et le combat) sans que le résultat soit ridicule ou surréaliste ? Stallone a la meilleure des réponses : en en faisant, pour lui et Rocky, leur raison d’être. C’est en cela que le film est bouleversant, il a foi dans le rêve de Rocky/Stallone, le prend au sérieux et le réalise, quitte à les mener à leur perte (la carrière de Stallone peut définitivement s’effondrer, Rocky peut mourir). Le happy-end est loin d’être garanti. Stallone filme alors avec simplicité et rigueur la solitude de son personnage, créant une atmosphère mélancolique avec les éclairages et jouant de son visage peu expressif, mais marqué d’une profonde tristesse. Il colle à cette morosité suscitant chez Rocky et le spectateur l’envie d’y résister, de retrouver les sensations euphorisantes du noble art et d’y croire encore une dernière fois.