De Gaulle se concentre sur un « épisode » de la vie du général, et non des moindres : les quelques semaines, en mai-juin 1940, où il s’affranchit des officiels français défaitistes et compromis avec l’ennemi pour rejoindre Londres et devenir la voix de la France Libre. Sur le modèle du Discours d’un roi (c’est-à-dire en climax, kleenex fournis), et au terme d’un compte à rebours qui enserre le film et son personnage dans les mailles d’un destin minuté, vient donc l’Appel du 18 juin. Tout entier fasciné par cet homme qui dit « non », le film essaie de joindre les deux bouts, soit la représentation d’une personnalité d’exception et le portrait d’un De Gaulle intime, quotidien, attaché à sa famille et soucieux, en particulier, de sa fille Anne (Clémence Hittin), atteinte de trisomie. Le long-métrage résout commodément cette tension en repliant un pôle sur l’autre. C’est que côté cour et côté jardin, une même alternative se présente au général : l’abandon (placer sa fille dans un hospice pour « débiles » mentaux/abdiquer face à l’ennemi) ou la résistance (garder sa fille au sein du foyer, jusqu’à l’entendre dire « maman »/faire don de sa personne à la mère patrie). En bref, De Gaulle a deux amours : sa famille et la France, comme l’avers et l’envers d’une même médaille. On sent déjà pointer ici, dans le récit d’un homme qui trouve sa voix, le verbe gaullien des Mémoires de guerre. Au cours d’une scène de retrouvailles, sa femme, Yvonne (Isabelle Carré), le gonfle de courage en lui citant ses propres mots, tirés d’un de ses livres : elle est alors à l’image du film, qui pour rendre compte de ce que peut la volonté d’un homme, semble souffler à l’oreille de son héros toute la geste qu’il a léguée à la postérité. De Gaulle outragé, De Gaulle brisé, De Gaulle martyrisé, mais De Gaulle libre, par vents et marées ; De Gaulle encore qui oppose la force d’une idée à la submersion par le « mécanique », et une compréhension quasi spirituelle du politique au corporatisme militaire.
Ce désir de faire rentrer la petite histoire dans la grande avance tout armé de l’axiome suivant : derrière chaque homme qui fait l’Histoire, il y a une femme. Il est assurément touchant de trouver dans le pendant féminin du grand Charles une même ténacité face à l’adversité, guidée par un idéal qui, pour domestique qu’il soit, est à la mesure de l’absolu marital. Quelque part, le film effleure la piste d’une complémentarité du couple, un alliage nécessaire de la chair et de l’idée. De Gaulle doit se frotter à la peau d’Yvonne pour ne pas perdre pied. Elle le ramène à la dureté du quotidien français. Mais ce portrait croisé n’est pas sans limites, tirant constamment le récit vers le pathos ; et cet axiome, comprend t‑on, fonctionne pour le pire comme pour le meilleur. C’est qu’il y a des « mauvaises femmes », comme cette Hélène de Portes (Philippe Leroy-Beaulieu), maîtresse traîtresse de Paul Reynaud (Olivier Gourmet), tenue pour responsable de ses atermoiements. Tout ceci est d’autant plus désolant qu’à bien des égards, la silhouette encombrante du général, inévitablement statufiée par sédimentation dans la mémoire collective, avait de quoi fournir la matière d’un beau film maladroit. C’est d’ailleurs dans les ratés de la performance de Lambert Wilson, démesurément empâté, qui n’a manifestement pas fait son choix entre l’actors studio et son naturel affecté, que le film touche incidemment quelque chose, plus que dans des choix de mise en scène qui, pour être suggestifs (De Gaulle en ombre chinoise, parfois), tombent toujours à côté. On ne peut s’empêcher de penser à Melville, d’une part, qui assumait l’icône, et filmait le général comme une ombre démesurée, à mille lieues du reste des hommes, et donc comme une apparition qui ne pouvait s’inscrire trop longtemps à l’écran. À Spielberg, d’autre part, qui sut donner à voir, dans Lincoln, une statue qui fléchit pour se mettre à hauteur d’enfant.