Sponsorisé par la BBC, chaîne nationale anglaise qui a vu naître son réalisateur, Tom Hooper, Le Discours d’un roi ne cherche jamais à écorner l’image traditionnelle des Windsor, plate et dorée, qui avait été délaissée le temps d’un film de Stephen Frears. Pourquoi, dès lors, sortir ce genre d’hagiographie sur grand écran ? La présence de Colin Firth, libéré depuis longtemps du giron de la BBC, assurerait la réussite d’un film, et surtout la victoire d’un Oscar. Pour la réussite, on repassera.
Depuis quelques années, la critique est en droit de se poser avec plus d’acuité qu’auparavant la question des finalités du cinéma historique et des motivations de ses réalisateurs. Si les réactions de certains d’entre eux -Rose Bosch, pour ne pas la nommer- pourraient presque se passer de commentaires, reste le problème de l’établissement d’un contexte, de la narration visuelle de l’histoire, et des enjeux, politiques et sociaux, d’une retranscription. Le problème des films comme Le Discours d’un roi est qu’ils écartent d’emblée toute problématique de ce genre pour se concentrer sur l’événement ou sur l’emblème, au point d’évincer le cinématographique. Que reste-t-il à l’arrivée ? Un sentimentalisme du passé, une sorte de nostalgie apolitique qui prend bien soin de ne fâcher personne. Tom Hooper réalise un cinéma d’apparat et filme une famille royale mythique, confrontée par le contre-champ à un peuple traité comme un pur décor, et embringuée dans une histoire si généralisante et imprécise qu’elle en devient l’attirail de la fresque commerciale qui ne fonctionnerait pas économiquement sans le label « based on a true story ».
L’opportunisme de cette production ‑appelons un chat un chat‑, sortie sur les écrans quelques semaines avant un mariage princier qui ne cesse de faire augmenter les ventes de papier imprimé, est au coeur même du projet. Le sujet n’est pas l’arrivée au pouvoir de George VI, resté célèbre pour ses discours radiophoniques pendant la Seconde Guerre mondiale, ni même l’importance croissante de ce nouveau média dans le rapport des régnants à leurs sujets, et de ces sujets à l’information. Le vrai sujet, qui ferait pâlir d’envie quelques majors outre-Atlantique, est l’histoire d’un bègue qui parvient à surmonter valeureusement son handicap : en bref, la success story dans toute sa splendeur, avec ses tambours à l’ouverture et ses violons au dénouement, menée par un acteur dont la performance sera sans aucun doute saluée de toutes parts. Marion Cotillard avait sa maquilleuse, Colin Firth a eu un excellent coach de bégaiement. De la monarchie, on ne nous parlera pas. La terreur même du bègue qui doit s’exprimer publiquement, on la frôlera, à grands renforts de gouttes de sueur et de rythmes cardiaques survoltés.
Rarement aura-t-on vu si peu de mise en scène, de tentatives même ou d’ébauches de cadrage. Un homme parle en plan rapproché, on lui répond en plan rapproché, et ainsi de suite. Tout, ici, n’est qu’illustration linéaire et attendue, sans que jamais la caméra n’aspire à autre chose ‑à quelque chose ?-, ne choisisse une place, ne s’attarde sur un espace ou ne prenne soin de créer une tonalité. Cette dernière est entièrement contenue dans le sujet, et crée en deux temps trois mouvements une émotion de bas étage ‑les violons, donc. Même le personnage central, George VI, fait de carton-pâte, n’est là que pour laisser sans voix les lecteurs assidus de Point de vue. L’individualisme du film, poussé à son paroxysme dans les dernières minutes, entraîne enfin une lecture particulièrement curieuse de l’entrée en guerre de l’Angleterre en 1939 : point de torpeur populaire ou royale… c’est la victoire personnelle du bègue qui parvient à finir son discours sans anicroche. La guerre est belle, finalement, lorsqu’elle permet un oscar. Du début à la fin, Le Discours d’un roi est un spot pour les Windsor en mal de popularité, un hymne au décorum, une instrumentalisation molle et sans talent de l’histoire. Colin Firth aura probablement l’oscar, mais les cinéphiles pleureront.