Il serait cruel de blâmer un réalisateur qui prend des risques dans son premier long métrage. La volonté de mettre en scène des personnages un peu en marge, de favoriser une participation active du spectateur, par le soin apporté aux dialogues et par une réalisation qui ne guide pas le spectateur vers ce qu’il doit croire ou penser est tout à fait louable et apporte un peu de sang neuf au cinéma français. Mais à trop vouloir multiplier les possibilités et les thèmes, Brice Cauvin réalise un film qui fonctionne autant qu’il décontenance. Il faudra une grande souplesse de la part du spectateur pour suivre le récit jusqu’à son terme et pour s’attacher à des personnages certes intéressants, mais qui manquent tout de même un peu de chair.
Marion, doubleuse de séries télévisées et Philippe, architecte, vivent à Paris avec leurs deux enfants. Sous cette apparente stabilité, se trouve en fait un couple un peu décalé, point focal d’un film qui, sous bien d’autres aspects, va s’attacher à raconter leur cheminement vers l’équilibre. La scène d’ouverture du film est tout à fait révélatrice du manque de maturité dans lequel Marion et Philippe se complaisaient jusqu’à présent: la caméra, installée dans la salon d’une maison de campagne, reste fixe et filme nos deux héros qui se poursuivent en riant, insouciants du monde qui les entoure, tandis que leurs deux enfants, très calmes, râlent à cause de tout ce raffut.
Le chemin vers l’équilibre et la maturité est semé d’embûches, tout comme l’élaboration du scénario d’un film. Brice Cauvin aime et revendique non pas les fausses pistes, qui induiraient une manipulation du spectateur, mais les mauvaises pistes, celles qui témoignent de l’errance des personnages. Le principal risque est que le spectateur lui-même se perde dans ces différentes pistes. En effet, Cauvin hésite à faire de ses personnages un couple un peu paumé, pas assez mature pour avoir une vie d’adulte, un couple embarqué dans une histoire louche ou un couple dont la vie est perturbée par l’intrusion de l’irrationnel. Certes, ces différentes dimensions se mêlent les unes aux autres, mais à certains moments, on ne peut s’empêcher de se demander où va le film, comme s’il hésitait, ce qui nuit à son unité. La découverte d’un sac rempli d’argent et la possibilité de menaces terroristes auraient pu guider le film vers un polar original où un couple un peu dépassé devait se prendre en main et résoudre cette affaire. Mais cette piste n’est qu’entraperçue et non exploitée.
Paradoxalement, Brice Cauvin semble laisser trop de liberté au spectateur. Sans forcément le prendre par la main, le réalisateur est aussi là pour le guider. Ici, ce n’est pas du tout le cas de la mise en scène. En effet, qu’il s’agisse des arrières-plans flous, qui font planer le mystère, des ellipses temporelles, qui laissent au spectateur le soin de reconstituer ou d’imaginer ce qui s’est passé, ou encore des plans larges, notamment de lieux, destinés à pousser le spectateur à chercher des indices, beaucoup d’éléments nous échappent, trop, finalement. Le film regorge ainsi de bonnes idées qui malheureusement ne transparaissent pas et n’obtiennent pas l’effet escompté.
Il faudra cependant reconnaître que Brice Cauvin a très bien dirigé les acteurs, dans les rôles principaux comme les rôles secondaires. Dans le rôle de la maman encore un peu enfant, Hélène Fillières paraît plus vraie que nature. Son personnage fait penser à celui de Vincent Lindon dans La Moustache, d’Emmanuel Carrère. Étant donné que le film adopte tantôt son point de vue, tantôt celui de son mari, on ne sait plus très bien si elle est perturbée psychologiquement ou si ce sont les autres qui ne la comprennent pas. Brice Cauvin livre donc un film inégal, mais intéressant par bien des aspects. En ces temps de vaches cinématographiques maigres, on ne se plaindra pas devant ce cinéma exigeant qui prend le spectateur pour quelqu’un d’intelligent.