Ça va comment, le cinéma français populaire, en ce moment ? Pas trop mal, on dirait, merci : entre les succès de La Famille Bélier (mélo léger dopé à la voix de la croquignolette Louane, ex-candidate malheureuse de The Voice et lauréate d’un César du meilleur espoir – bonjour, success story !) et de Papa ou maman (satire sociale dans la droite lignée des films de Coline Serreau) et quelques mois après le carton phénoménal de Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, les Français poursuivent leur histoire d’amour avec des récits qui réchauffent le cœur, pleins de larmes, de sourires et de chansons de Michel Sardou. L’Art de la fugue, second long métrage réalisé par Brice Cauvin et adapté d’un roman à succès de l’Américain Stephen McCauley, tend vers une ambition louable : projeter un casting populaire dans une matière plus littéraire, plus mélancolique, mais au potentiel commercial non négligeable. L’Histoire du cinéma français n’est-elle pas remplie de films choraux qui ont su drainer les foules, de Vincent, François, Paul et les autres de Claude Sautet au Goût des autres du duo Bacri-Jaoui ?
Trois frères, zéro possibilité
L’Art de la fugue, c’est l’histoire de trois frères, chacun englué dans ses propres galères sentimentales : Antoine (Laurent Lafitte) est en couple avec Adar (Bruno Putzulu), mais se surprend à rêver d’Alexis ; Louis (Nicolas Bedos) doit se marier avec Julie (Élodie Frégé) mais la trompe avec Mathilde ; Gérard (Benjamin Biolay) déprime depuis son divorce d’avec Hélène, mais sa rencontre avec Ariel (Agnès Jaoui), amie et collègue d’Antoine, pourrait bien changer la donne. Ces chassés-croisés sentimentaux sont vus d’un œil tour à tour inquiet et névrotique par les parents des trois frangins, Nelly (Marie-Christine Barrault) et Francis (Guy Marchand). La fratrie au bord de l’explosion saura-t-elle trouver les bonnes réponses à ses atermoiements amoureux ? Le problème du film réside dans la réponse à cette épineuse question scénaristique : on s’en fout.
L’art du faux
Car à peu près rien ne fonctionne dans ce film a priori pas moins intéressant qu’un autre, dont la matière narrative, relativement neutre et abondamment traitée au cinéma, est suffisamment malléable pour que celui qui la met en scène y projette ses propres marottes, visuelles ou thématiques. Ici, chaque plan semble durer une éternité, plombé par un cadrage paresseux, une lumière laide et crue de mauvais téléfilm et une direction d’acteurs approximative. Le film entier se traîne avec la même langueur apathique qui frappe le personnage incarné par Benjamin Biolay : côté comédie, l’absence flagrante de rythme rend embarrassantes les maigres tentatives de susciter le rire, aussi ambigu soit-il ; côté drame, les dialogues souvent mal écrits plombent toute tentative, sinon de « faire vrai », du moins de générer un minimum d’empathie pour des personnages dont on ne comprend jamais véritablement les motivations, tant le film les réduit souvent à des caricatures grossières, voire des silhouettes inexistantes (pauvre Élodie Frégé, qui a en outre droit à une scène de nu intégral aussi gratuite qu’embarrassante). Tout sonne faux, ici, à commencer par l’envie du réalisateur de rendre hommage à un cinéma riche en émotions, dont l’attachement émotionnel pour ses personnages toucherait du doigt une forme de mélancolie dont nombre de jeunes cinéastes français sont nostalgiques, celle qui irriguait, au hasard, certains films de Truffaut (que Brice Cauvin évoque dans le dossier de presse du film). On en est hélas, ici, encore très loin.