C’est bien connu, les grands succès font les grandes vocations. Avec 40 millions de dollars de recettes au Japon, le film de Yôjirô Takita qui montre la naissance d’une vocation pour le métier de préparateur de cadavres avant la mise en bière sera-t-il le nouveau rêve de la future génération ?
On croirait un spectacle de magie : les mains s’agitent autour du corps d’une jeune femme dont seule la tête dépasse d’une couverture. L’homme accroupi devant elle escamote élégamment ses vêtements avec les gestes amples d’un prestidigitateur, nettoie la morte, la rhabille, le tout sans rien dévoiler d’impudique à la famille endeuillée qui lui fait face. La beauté de ce rituel, exacerbé par la mise en scène qui tend à en augmenter délicatement la théâtralité, est d’autant plus frappante qu’elle repose sur le fait qu’au Japon ceux qui préparent les morts sont mal vus. À ce rejet sans doute plusieurs raisons, notamment religieuses (le shintoïsme, principale religion de l’archipel, considère comme impur le contact avec la mort), mais Takita n’en expliquera aucune. Son but est visiblement de faire une pirouette, c’est tout.
Pour cela, prenons un scénario bien clair et linéaire, selon le dossier de presse moins issu du réalisateur que des producteurs Yasuhiro Mase et Toshiaki Nakazawa sur la base d’une histoire proposée par l’acteur Masahiro Motoki. L’auteur de télévision Kundô Koyama se chargeant ensuite d’écrire le scénario. Daigo, un jeune violoncelliste qui ne trouve pas de travail, décide de quitter Tokyo pour revenir avec sa femme dans son village natal au nord-est du Japon, dans la maison que sa mère lui a léguée à sa mort. Répondant à l’annonce d’une agence de voyage, il réalise que cette agence ne gère qu’une seule destination et qu’il s’agit de pompes funèbres. Mais hardi ! En deux interventions il a compris que le violoncelle n’était qu’un loisir, sa véritable vocation étant de préparer les morts. De là il faudra vaincre les réticences de son entourage, et d’abord de sa femme, ce qu’on sent bien qu’il fera, accompagné par un patron paternaliste et sa bonne secrétaire. Pour délayer et appuyer ce parcours, un récit parallèle : le souvenir taraudant d’un père qui l’a abandonné. On ne dévoilera pas la suite mais ambiance Walt Disney garantie : happy-end tire-larmes et moralité bien-pensante.
Pour habiller cette fabuleuse histoire de réconciliation, avec les traditions mortuaires, les origines, les coutumes d’une province occultée par les mégalopoles, avec la famille…, Takita dispose d’accessoires baroques dont il n’hésite pas à forcer la dose. La musique en premier lieu, et puisque Daigo est musicien, c’est l’occasion de faire chanter quasi continuellement les violons. Pour étirer encore davantage les moments d’émotion (d’eux-mêmes déjà envahissants), Takita a la bonne idée de rajouter des plans de coupe, comme des oiseaux en plein vol au plus fort d’une scène mélodramatique. De même des effets assez ridicules comme lorsque Daigo joue du violoncelle et qu’il redevient littéralement enfant, ou le visage flouté du père à chaque fois que son fils pense à lui. Un abus de maîtrise ; un des meilleurs moyens d’obtenir l’effet carte postale et de finalement laisser froid le spectateur.
S’il est possible qu’au Japon Departures ait eu une fonction sociale, à l’étranger il ne sera qu’un mélodrame sans intérêt. Une fois passée la découverte de la préparation des corps, le film oscille entre clichés japonais prêts à l’export et universalisation, qui passe avant tout par la relation de Daigo avec son père absent. On pourrait continuer longtemps la liste des détails qui font de Departures un scénario usé poussivement mis en images, on peut aussi, après avoir trépigné pendant les 2h11 de la projection, déplorer une fois de plus l’Oscar reçu du meilleur film étranger. Rappelons simplement qu’Entre les murs (malgré tout incomparable) et surtout Valse avec Bachir, étaient pressentis…