Après Daniel y Ana présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 2009, le cinéaste mexicain Michel Franco signe Después de Lucía (prix Un Certain Regard) dans lequel un père et sa fille affrontent la disparition tragique de Lucía, l’épouse et la mère. Récit d’un deuil impossible, le film évoque la période qui suit le décès à travers une mise en scène hyper-rigide où le salut n’a pas de prise.
Le film s’ouvre sur un plan-séquence où le père récupère la voiture de l’accident, totalement réparée, dans laquelle sa femme a perdu la vie quelques mois plus tôt. La caméra placée dans l’habitacle montre, entre le pare-brise et la vitre du conducteur, un homme prendre place dans ce lieu exigu : l’endroit et la source de son malheur. Dès cette première séquence, les règles formelles, que le réalisateur s’attachera à suivre de manière systématique sans jamais y déroger, sont posées. En effet, tous les plans du père et de la fille sont construits de manière à représenter un espace confiné, restreint où les protagonistes sont pris au piège de leur désespoir. Dans le cadre, chaque ligne de fuite vient se heurter à une paroi, à un mur, anéantissant la possibilité même d’un horizon autre que la souffrance.
Malgré ce début quelque peu programmatique, le récit progresse vers ce que l’on pourrait interpréter comme une tentative de tourner la page : le père et sa fille adolescente partent s’installer ailleurs, dans une ville où ils n’ont rien vécu. Commence alors une nouvelle vie qu’ils ne parviennent pas à mettre en place, à l’image de leur nouvel appartement, jamais totalement aménagé, dénué d’objets. La mise en scène nous rappelle à chaque plan que, où qu’ils soient, les deux protagonistes n’échapperont pas au confinement dont ils sont victimes.
Toutefois, la fille, Alejandra, intègre une bande d’ados qui très vite lui propose de partir s’éclater dans une maison de vacances le temps d’un week-end. Cette perspective d’une vie sociale loin du passé – Alejandra tait d’ailleurs le décès de sa mère – apparaît alors comme la planche de salut permettant à la jeune femme de faire son deuil. Mais il n’en sera rien et la mise en scène continue de nous l’asséner. En effet, si les séquences de la bande échappent quelque peu à cette systématique du cadre, les adolescents sont placés en cercle, un cercle qui n’entoure pas la jeune fille mais l’enferme dans une manœuvre de piège voire de mise à mort.
Car c’est précisément au sein de ce groupe, en raison d’un événement qui aurait pu, dans la logique même de ces ados où sexe, drogue et alcool sont de toutes les fêtes, être léger et anodin, qu’Alejandra causera sa perte et deviendra la cible des pires humiliations corporelles et psychiques. Le sadisme, parfois insoutenable, dont font preuve les adolescents à l’égard d’Alejandra semble à un certain moment être la manifestation de la douleur causée par la perte de sa mère, comme si le film opérait un glissement entre la souffrance muette, indicible de la jeune fille et les châtiments publics infligés par ses « amis ».
Mais le film ne s’engage pas dans cette voie et pris dans un cadre formel hyper-rigide, construit scrupuleusement, plan après plan, il enferme ses personnages qui n’ont jamais eu, dès les premières séquences, la moindre chance de s’en sortir, incapables de prendre une autre voie que celle tracée par l’accident de Lucía. Les seuls moments où l’horizon s’ouvre sont les séquences à la mer où le père et la fille, chacun de leur côté, s’extraient du cadre et visent le large. Mais ce ne sera que pour mieux sombrer dans ce qui semble être leur destin.