Au mitan des années 1970, Diane Kurys, qui avait d’abord embrassé la carrière de comédienne, décide de changer de voie : elle passe à la réalisation et signe d’emblée un joli coup d’éclat avec son premier long métrage, Diabolo menthe, inspiré de ses propres souvenirs d’adolescence. Récompensé par le prix Louis Delluc le jour de sa sortie, le 14 décembre 1977, le film va par ailleurs remporter un grand succès public, attirant au total un peu plus de 3 millions de spectateurs dans les salles. Indissociable de Diabolo menthe, la chanson éponyme d’Yves Simon, qui en accompagne les derniers plans, reflète au plus juste son atmosphère douce-amère. Vite devenue très populaire, elle a sans doute contribué au bouche-à-oreille favorable dont a bénéficié le film.
40 ans après sa sortie, Diabolo menthe réapparaît sur grand écran, en version restaurée, et nous amène à revenir encore un peu plus loin en arrière. L’action du film se déroule en effet en 1963 – 64, à une époque où les jeunes gens écoutent l’émission Salut les copains à la radio, dansent au son du twist lors de surprises-parties, sirotent un diabolo menthe au café et se heurtent (parfois violemment) aux adultes dans la France corsetée du gaullisme finissant, qui porte encore bien visibles les stigmates de la guerre d’Algérie – ainsi de ce graffiti « OAS = SS » que l’on voit sur un mur de Paris, au détour d’un plan.
Chronique intimiste
Les deux protagonistes principales sont Anne, 13 ans, et sa sœur Frédérique, 15 ans. Leurs parents étant divorcés (chose encore rare à l’époque), toutes deux vivent avec leur mère et ne voient leur père que de temps en temps, essentiellement durant les vacances. Elles sont par ailleurs inscrites dans le même établissement scolaire, en l’occurrence le lycée de jeunes filles Jules-Ferry à Paris, qui devint mixte en 1974 et dont Diane Kurys fut elle-même une élève au début des années 1960.
D’un été à l’été suivant, l’on apprend à connaître ces deux adolescentes, à la fois très proches et si distantes (deux ans d’écart, à ces âges, ça peut être un vrai fossé), qui font l’expérience de l’éveil des sens autant que celui de la conscience. En Frédérique s’affirme ainsi une volonté ardente d’engagement politique. De manière générale, l’on perçoit les premiers signes avant-coureurs de la révolte à venir contre le vieux monde (dont ce lycée suintant l’autoritarisme rance constitue l’un des vestiges), en particulier lors de cette scène saisissante où, filmée en contre-plongée dans la cour de récréation, l’une des autres élèves crie de multiples « merde ! » à pleins poumons.
Chronique intimiste faite d’une succession de scènes de la vie quotidienne, entre émois sentimentaux, soucis familiaux et tracas scolaires, Diabolo menthe brosse par petites touches sensibles le portrait de ces deux jeunes filles en fleur – un portrait rendu encore plus fidèle par l’interprétation des deux actrices (Éléonore Klarwein dans le rôle d’Anne et Odile Michel dans celui de Frédérique). Le film se montre moins convaincant vis-à-vis des personnages adultes, en particulier les enseignantes et la directrice du lycée. Montrées telles que les voient les adolescentes, celles-ci restent à l’état de stéréotypes et la plupart sont tournées en dérision en usant de ressorts comiques un peu faciles (voir, par exemple, les scènes avec les profs de sport et de dessin).
Tonalité mélancolique
Si le père apparaît assez falot, relégué à l’arrière-plan du récit, la mère a nettement plus de présence et de consistance : à la fois fragile et dure, aimante et cruelle, elle se dessine tout en nuances. Le film traverse lui-même un large spectre de nuances, du rose de la gaieté au gris de la tristesse en passant notamment par le vert de l’espérance (et du diabolo menthe). Il s’ouvre sur une image figée – qui s’anime – et s’achève également sur une image figée, d’autres images figées venant ponctuer le récit en défilant à la façon de photos de vacances. La fiction cinématographique semble ainsi jaillir d’un album de photos-souvenirs légèrement patinées par le temps et trouve précisément sa principale force expressive dans ce rapport au (passage du) temps.
Dès les premiers plans, évoquant la fin des vacances d’été sur une plage déserte au ciel couvert, Diane Kurys instille une tonalité mélancolique, qui traverse l’ensemble du film. Résultant de l’écart entre le temps de l’action et le temps de la réalisation, la sensation de passage du temps – et de perte de la jeunesse – est inscrite au cœur même du projet, à forte teneur autobiographique (le film est dédié « à ma sœur… qui m’a toujours pas rendu mon pull-over orange… »). Plane également, récurrente, l’ombre de la mort. Elle transparaît par exemple à travers les mots d’une adolescente parlant du suicide de sa mère ou via l’annonce des morts d’Édith Piaf et de John Kennedy.
L’ombre de la mort se manifeste encore, avec une intensité remarquable, par la bouche d’une autre adolescente, Pascale, condisciple et amie de Frédérique. Jouée par Corinne Dacla, alors (étincelante) débutante, et filmée en plan serré, Pascale raconte en cours d’histoire la sanglante répression policière du métro Charonne en février 1962, dont elle a été témoin. Dans son récit vibrant, conclu par la vision puissante d’une foule marchant en silence vers le cimetière, se cristallisent toutes les angoisses et les attentes d’une génération, que Diane Kurys a su porter à l’écran avec une belle force de conviction.