On a tous en tête une certaine image de Françoise Sagan. La plus prégnante, c’est celle de cette femme à l’allure d’oiseau chétif, le regard caché par une frange blonde, une cigarette à la main, un phrasé mitraillette et quasiment incompréhensible en guise d’ouverture vers le monde. L’auteur de Bonjour tristesse, star des lettres en France dès la parution de ce premier roman écrit à 18 ans, a terminé sa vie en 2004 loin des fastes de sa jeunesse, qu’elle a consciencieusement brûlé dans un déluge d’alcool, de drogue et d’argent dilapidé à tout va. Ce que l’on retient moins, en général, c’est son oeuvre : une quarantaine de romans, pièces de théâtre et scénarios que la postérité s’obstine à ignorer, préférant garder le souvenir d’une jeune bourgeoise ayant vécu sa vie comme une rock-star.
Diane Kurys ne prend pas de risques : la Sagan qu’elle dépeint est bien celle que le public attend. Fille d’un couple de riches industriels, la gamine qui publie son premier roman en 1954 est propulsée vedette internationale en quelques mois. C’est peu de dire que l’écrivain va vivre sa vie en toute liberté : vie quasi-communautaire entre ville et campagne, mariage express avec l’éditeur Guy Schoeller, bébé express avec l’Américain Robert Westhoff, accident de voiture, bisexualité… Sagan ne s’embarrassait pas des conventions et a, d’une certaine façon et à sa manière, épousé son époque en pleine mutation. Hélas, si la réalisatrice s’intéresse de près au caractère hors norme de son héroïne à la vie plus remplie et farfelue que celle d’un personnage de roman ou de cinéma, elle semble incapable de l’inscrire dans un environnement social ou politique qui apporterait un éclairage supplémentaire à son destin. Sagan vivait en vase clos, mais est-ce une raison pour faire de sa vie un film centré sur lui-même, totalement dénué de souffle ? Le choix de laisser le contexte en hors-champ pourrait être un vrai parti-pris de mise en scène ; il pourrait s’expliquer ici par le désir de l’écrivain de se constituer un monde à part, une sorte d’idéal mi-bourgeois, mi-punk totalement déconnecté des mouvements du monde (dans le film, Sagan fait allusion à Mai 68 en se disant qu’elle y participerait volontiers, mais en se rendant à Paris en décapotable). Mais pour cela il aurait fallu donner aux personnages un minimum de chair. L’entourage de Sagan est totalement interchangeable, caricatural et grotesque, incarné par des comédiens en roue libre qui atteignent des sommets de ridicule (la palme revenant à Jeanne Balibar et Arielle Dombasle, quand Pierre Palmade est finalement celui qui s’en sort le mieux, toutes proportions gardées). Ils ne sont là que pour passer, dire deux ou trois répliques plus ou moins drôles, brasser de l’air pour occuper l’espace en prenant bien garde à ne pas trop empiéter sur le territoire occupé par Sylvie Testud.
Car il semble que le film n’existe que pour elle et sa performance, qui justifie à elle seule la sortie du film en salles – après le triomphe de La Môme, on peut s’attendre à une campagne de promotion agressive au moment des César. Élève très douée, Sylvie Testud n’en est pas moins dépassée par l’ampleur de la tâche. La ressemblance physique est stupéfiante, le mimétisme (voix, attitude) saisissant. Mais est-ce bien suffisant pour faire exister Sagan à l’écran ? Trop concentrée sur l’imitation, l’actrice en oublie de composer un personnage. C’est d’autant plus flagrant qu’au détour de quelques scènes de pure comédie, qui évacuent l’aspect biographique pour insérer du burlesque dans des faits avérés (la perquisition des Stups chez Sagan en 1995), Testud redevient une actrice et semble autrement plus s’amuser que dans le reste du film, où on la sent presque étriquée, coincée dans les conventions du genre.
Quand Olivier Dahan en faisait des tonnes dans La Môme, Diane Kurys tombe dans le travers inverse. L’on pourrait argumenter que Sagan a été conçu pour la télévision, où les questions de mise en scène sont nettement moins importantes que la valorisation et la mise en image d’un scénario. Mais le problème, une fois encore, touche tout le cinéma français aujourd’hui, bien trop convaincu qu’une histoire et des dialogues suffisent à faire un film. Rappelons également qu’aux États-Unis, le soin apporté à la réalisation des séries télévisées et autres téléfilms aurait de quoi faire rougir une bonne partie des réalisateurs français. En attendant, difficile de ne pas se demander ce que Françoise Sagan aurait pensé d’une mise en images aussi plan-plan de sa vie si peu conventionnelle.