Il n’est pas si loin le temps où Les Enfants du marais nous rappelaient avec acuité que rien ne vaut l’amitié, la fantaisie et le bon Bordeaux pour être heureux. D’un simple point de vue moral, le dernier film de Jean Becker n’est pas désagréable bien que teinté de cette horrible nostalgie de ceux qui voient l’avenir en regardant derrière eux. Il possède deux bons acteurs, engoncés dans des personnages clichés, et un réalisateur, planplan à souhait, comme son discours, généreux mais peu intéressant.
En choisissant Daniel Auteuil et Jean-Pierre Darroussin comme protagonistes de son dernier film, Jean Becker utilise des vedettes au service d’un cinéma bien de chez nous… Il est sans doute tout à fait sincère lorsqu’il peint, et c’est le cas de le dire, le tableau d’une France perdue qui ne nie pas pourtant une certaine actualité sociale. Il n’en reste pas moins que son traitement bascule incessamment dans la nostalgie de valeurs qui ont disparu, certains le pensent réellement, depuis mai 68. Tout le problème est là : sans pouvoir taxer Dialogue avec mon jardinier de film réellement rétrograde, il est fondé sur le regret. Regret d’une société plus franche, plus simple, mais aussi regret de clichés sociaux qui ne sont pas franchement les moteurs du progrès.
Un peintre parisien, donc riche, donc bobo, donc amateur d’opéra, donc forcément un peu méprisant envers le vulgum pecus qui vit en dehors du périphérique, revient à sa terre pour vivre sa crise de la cinquantaine au milieu des fleurs. Le jardin est en friche, il lui faut un jardinier… et sur qui va-t-il tomber ? Je vous le donne en mille : son ami d’enfance, jardinier, donc un peu paysan, donc amateur de vraie vie simple et naturelle, donc forcément un peu loin de la culture bourgeoise d’un Paris dont on ne parle que par opposition au reste du pays. Ils se revoient, le peintre apprendra évidemment beaucoup de ce jardinier qui n’est évidemment pas aussi simple et gentil qu’on le croit (lui aussi est cultivé, il aime l’opéra!). Il apprendra la vie en somme.
Jean Becker, en isolant ses personnages dans une sorte de Paradis retrouvé, les coupe du monde : bien qu’il soit fait mention du chômage (le beau-fils du jardinier perd son emploi), on revient toujours aux mêmes solutions. Pour vivre heureux, vivons cachés, pêchons, discutons autour d’un bon verre de rouge, et profitons de cette nature vierge et sans tache que nous offre cette bonne vieille campagne loin des tracas. Le discours n’est pas nouveau, il tient peut-être à l’âge du réalisateur qui se plonge dans ses souvenirs, mais il tend parfois à la peinture sociale, cette dernière étant toujours détournée par une scène d’émotion, de rire ou simplement d’oubli.
D’un point de vue cinématographique, Jean Becker alterne une distance et une proximité aux protagonistes, comme s’il ne savait pas toujours choisir entre une émotion, risquée mais plus forte, et un va-et-vient linéaire qui ne traduit pas grand-chose en termes visuels. Les acteurs sont irréprochables, parce qu’il sont talentueux, mais aussi parce que les dialogues ne sont pas trop indigents. Dialogue avec mon jardinier est une sorte d’appel au retour à la terre qui ne dit pas son nom. Ni foncièrement rétrograde ni cinématographiquement inspiré, on sort tout à fait neutre d’un tel film, ayant cru voir la retraite de choristes un peu usés. Et avec l’impression d’avoir tout vu, sauf un film contemporain.