Il est une scène dans Bon rétablissement qui semble révéler sa puanteur tranquille : un misanthrope (Gérard Lanvin), hospitalisé depuis quelques jours, sympathise avec une infirmière noire (Claudia Tagbo), qui en souriant lui montre un pendentif – l’homme insiste pour le revoir, parce qu’évidemment il plonge dans la poitrine de la jeune femme. Le malade se rince l’œil, ils s’en amusent tous les deux, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Or l’intégralité de cette scène semble révéler la nature du cinéma de Jean Becker : un éloge des petites gens un peu bourrues – mais qu’au fond l’on pardonne puisqu’ils incarnent à eux seuls la vraie France des valeurs –, criant à chaque plan son humanisme de comptoir (« ensemble, tout devient possible »). Sauf que cette philosophie mâtinée de la pire démagogie ne peut pas opérer puisqu’elle demeure univoquement alimentée par un permanent système d’oppositions, qui nie la dynamique d’humanisation du protagoniste : alors qu’il devrait appréhender l’altérité, la caméra se contente de la surligner en permanence, sans jamais trouver la trace d’un flux commun autrement que par les violons.
Téléfilm du contemporain
Il y a en outre quelque chose de profondément navrant dans ce que le film entend s’ancrer dans le contemporain, rompant avec les vrais sentiments cultivés dans la campagne et dans la boue (Dialogue avec mon jardinier, La Tête en friche), avec les péquenauds filmés comme tel mais tellement plus attachants que ces pourris de germanopratins. Becker semble avoir revu ad nauseam les unes de journaux à « valeurs » (évoquant, entre autres, la prostitution des homosexuels et la culture mondialisée) en les brandissant comme des vérités passant outre tout questionnement, baignant son subtil package dans ce qu’il retient assez platement de l’imagerie 2014, courant de Skype à l’emploi à peine dissimulé de tics de séries hospitalières. Le problème ne vient pas nécessairement du fait qu’il recycle avec toute la facilité du monde des sujets de société, mais plutôt qu’il en formule constamment une alternative à coup de flash-backs hideux et de punchlines dissimulant l’abjection (« des blondes comme ça, on en fait plus aujourd’hui ») sous l’habit d’une souriante nostalgie. Cette confrontation autoproclamée avec le réel n’apparaît de surcroît jamais comme un arrière-fond susceptible d’éveiller une quelconque conscience politique ou morale, mais plutôt comme des prétextes à l’évolution dramatique du récit – en témoigne le « regard » porté sur la difficulté du travail dans une plate-forme pétrolière, à la fois preuve d’un poujadisme rondouillard et utilisation de la figure de l’ouvrier pour la formulation d’une boucle scénaristique.
Des personnages-prétextes, le film ne recèle que de cela, lui dont la forme semble s’être arrêtée aux années cinquante – mettons au Autant-Lara de La Traversée de Paris, dont il a dû apprécier le dénouement, qui montrait avec bonheur les déclassés restés sur le quai. Dans Bon rétablissement, l’on filme des « Mal, mal, mal » tel Haneke et des obèses comme Seidl – l’obèse est d’ailleurs le plus triste personnage du film, lourdement affublée de ce que Becker croit être la jeunesse – en vrac : les fautes d’orthographe, Justin Bieber, Facebook –, traitée de « boulotte » par la narration, devenue sympathique mais dont la disparition n’éveille aucune émulation formelle. Il suffit de comparer ce traitement à celui d’un James L. Brooks, dont la grandeur repose en partie sur le soin infini avec lequel il peint un personnage (chez lui, même un conducteur de bus ne sera jamais réduit à sa fonction dramaturgique), pour comprendre que ce pseudo-filmeur, montage à la truelle, éclairage de téléfilm et cartes postales sous le bras, est bien plus nauséabond que le prospectus de bien-être duquel il semble vouloir répondre. Le fait que la caméra s’anime seulement pour suivre les déambulations d’un chat de gouttière signale in fine, alors que ses précédents films indiquaient déjà une profonde incompréhension de l’espace, un puant abandon devant l’humanité. « Si vous n’aimez pas la mer… Si vous n’aimez pas la montagne… Si vous n’aimez pas la ville… »